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Med Change Makers e08 : Vera DANILINA, Marchés publics verts vs. Fiscalité environnementale: potentiel de coopération EuroMed

 

FEMISE a lancé en 2018 sa série d’entretiens «Med Change Makers».

Les «Med Change Makers» sont des entretiens (texte et vidéo) qui permettent aux chercheurs FEMISE dynamiques d’illustrer comment leur recherche aborde une question politiquement pertinente et comment elle contribue au processus d’élaboration des politiques dans la région Euro-Méditerranéenne.

 

Marchés publics écologiques vs. Fiscalité environnementale: potentiel de coopération environnementale euro-méditerranéenne

Entretien avec Vera Danilina, Aix-Marseille Université et FEMISE

La question environnementale est une des priorités de la recherche/action de FEMISE. En Méditerranée les conséquences des changements climatiques seront toujours plus fortes qu’ailleurs. La réduction des émissions de gaz à effet de serre et la prise en compte des besoins en adaptation des pays riverains sont plus que jamais des nécessités.

Auteur d’un MED BRIEF FEMISE, Vera Danilina se focalise sur la fiscalité environnementale et les marchés publics écologiques (MPE). Elle fournit une analyse comparative de leur efficacité et révèle les opportunités d’une politique environnementale harmonisée entre les pays. Ses résultats permettent d’envisager des implications spécifiques dans le cadre de la collaboration environnementale des pays de l’UE avec ceux de la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord). Entretien :

1. Votre récent Brief FEMISE se consacre à la comparaison entre les marchés publics verts et la fiscalité environnementale. Quels sont ces deux instruments politiques et pourquoi vous focalisez-vous sur eux ?

Le premier instrument, les marchés publics verts, est lié au processus par lequel les pouvoirs publics cherchent à acquérir des biens et services ayant un impact environnemental réduit. Il correspond donc à leur initiative de faire usage de produits respectueux de l’environnement. Cet instrument politique est relativement nouveau : au sein de l’UE, l’importance des marchés publics verts a été soulignée en 2003 lorsque les États membres ont été invités à adopter des plans nationaux pour rendre la politique des marchés publics plus écologique. Malgré le développement relativement lent des marchés publics verts, 55 % des contrats signés par les autorités publiques européennes en 2009/10 comportaient au moins un critère fondamental des marchés publics verts de l’UE.

Le deuxième instrument, la fiscalité environnementale, vise directement l’impact négatif de la production. Aujourd’hui, dans l’UE-28, ces taxes représentent de 30-50 % (Royaume-Uni, Belgique, Italie, Danemark), à 60-80 % (Allemagne, France, Norvège) et même 80 à 100 % (Espagne, Liechtenstein) des instruments clés utilisés en matière de politique environnementale. La fiscalité environnementale représente 2,4% du PIB de l’UE-28, avec des parts variant de 0,77% au Liechtenstein à 4,14% au Danemark.

Pourquoi se concentrer sur ces deux instruments politiques ? Tout d’abord, parce qu’elles relèvent d’approches alternatives en matière de réglementation mettant en jeu la participation obligatoire ou volontaire et l’influence directe ou indirecte. La deuxième raison est que si la fiscalité environnementale peut être considérée comme l’un des instruments politiques les plus ou même le plus couramment utilisés, l’expansion des marchés publics verts est beaucoup plus modeste. Mais en même temps, les marchés publics verts ont été constamment en tête des priorités politiques de différents pays depuis les années 1970, ce qui montre le potentiel qu’on peut en attendre dans l’élaboration des politiques environnementales. Par conséquent, la principale raison de choisir les taxes et les marchés publics verts pour notre analyse est d’examiner les avantages et les inconvénients d’un instrument politique traditionnel et d’un instrument relativement novateur, en explorant leur éventuelle complémentarité et/ou substituabilité.

2. Les instruments économiques des politiques environnementales sont-ils répandus (ou non) dans les pays méditerranéens de la rive sud et pourquoi ? Existe-t-il des exemples de succès Sud-Méditerranéens ?

Les pays sud-méditerranéens se sont focalisés principalement sur la fiscalité environnementale en tant qu’instrument le plus transparent et le plus direct : elle représente de 64% (Israël) à 100% (Egypte, Tunisie) des instruments clés des politiques environnementales. Par ailleurs, dans la majorité des pays, ils représentent une part relativement modeste du PIB. Dans le même temps, en Israël, les taxes environnementales représentent 3% du PIB, et 2% au Maroc, ce qui en phase avec les pratiques européennes.

Les achats publics représentent environ 18% du PIB dans la région MENA, ce qui indique un potentiel significatif d’influence sur les marchés et les industries. Les marchés publics verts ne sont toutefois pas très développés. Cependant, nous pouvons souligner des pays comme Israël, l’Egypte, le Maroc et les Emirats Arabes Unis qui sont en avance dans le développement des marchés publics verts. Selon l’indice Ecolabel, il existe jusqu’à 20 labels écologiques dans chacun de ces pays, y compris des normes écologiques nationales telles que le label « Green Star » pour le tourisme responsable en Égypte ou un label Vert pluri-industriel en Israël. Ces pays ont également lancé une série de programmes gouvernementaux de soutien aux éco-innovations.

En général, la réglementation environnementale n’est pas développée à grande échelle dans les pays sud-méditerranéens. Parmi les raisons, nous pouvons citer un large éventail de problèmes sociaux et économiques qui semblent plus urgents. En même temps, nous observons un développement des politiques environnementales, ce qui indique que l’on en saisit de mieux en mieux l’importance.

3. Comment les politiques et instruments environnementaux dans le Sud de la Méditerranée peuvent-ils coexister avec les difficultés sociales et économiques auxquelles ces pays sont confrontés ?

Il est bien connu que la région sud-méditerranéenne connaît une série de difficultés sociales et économiques qui peuvent sembler beaucoup plus importantes que les menaces écologiques. Dans le même temps, les coûts de la dégradation de l’environnement dans cette région vont de 2 à 3 % du PIB en Tunisie, en Jordanie et en Syrie, à 5 à 7 % du PIB en Égypte et en Iran. Ces chiffres sont frappants. Ils sont la preuve que sans le développement d’une politique verte, les pays du Sud risquent d’aggraver non seulement les problèmes écologiques, mais aussi les difficultés sociales et économiques.

En outre, se concentrer sur le développement économique sans contraintes environnementales appropriées pourrait potentiellement aggraver la dégradation de l’environnement et la qualité de vie de la population. A titre d’exemple, nous insistons particulièrement sur les problèmes de santé qui peuvent réduire considérablement le PIB. Le lien entre l’environnement, la santé et le PIB est potentiellement fort en l’absence de réglementation environnementale et en présence de menaces « élémentaires » comme les émissions des voitures, par exemple, qui touchent le plus directement la population.

4. Quelle est l’importance de la coordination des politiques environnementales dans les pays du Sud de la Méditerranée et pourquoi ? Quels avantages directs et indirects ?

Nos recherches préconisent l’harmonisation des politiques entre pays liés commercialement. Nous considérons cette stratégie comme une option de premier choix ou une option « gagnant-gagnant » qui permet aux acteurs de coordonner leurs actions environnementales sans pour autant imposer un effort disproportionné à l’un d’eux.

Sinon, les pays qui se concentrent davantage sur la réglementation environnementale pourraient être découragés par les répercussions liées au commerce international. Ainsi, le pays qui opte pour une fiscalité environnementale plus sévère tire profit de l’intégration commerciale avec le pays qui introduit des marchés publics verts ou une fiscalité plus réduits. Dans la littérature, ce phénomène correspond à un « effet de havre de pollution » par lequel l’intégration commerciale fait passer les industries polluantes de pays où la réglementation environnementale est plus sévère vers des pays où elle est moins sévère, sans nécessairement conduire à une réduction de la dégradation environnementale mondiale. Si tous les pays optent pour la politique des marchés publics verts, le pays le plus respectueux de l’environnement dont le gouvernement dépense plus pour les bien publics écologiques risque de voir son pouvoir d’achat diminuer alors que le pays le moins respectueux de l’environnement dont le gouvernement dépense moins pour l’environnement se trouve favorisé. Dans notre recherche, nous appelons ce résultat un « paradoxe de vertu ».

Enfin, la complémentarité du commerce et de l’environnement constitue un argument non négligeable. Lorsque les politiques environnementales sont identiques dans leur type et leur intensité, l’intégration commerciale laisse le niveau de dégradation de l’environnement inchangé mais entraîne une augmentation du pouvoir d’achat dans les pays liés par le commerce.

Par conséquent, en ce qui concerne les avantages directs de l’harmonisation des politiques, il convient de mentionner le recul de la dégradation de l’environnement et l’égalité de la contrainte des politiques. En ce qui concerne l’effet indirect, nous soulignons clairement les effets positifs de la réglementation sur les pratiques commerciales traditionnelles ainsi que sur les préférences des consommateurs. De plus, une politique harmonisée implique aussi une harmonisation des normes écologiques entre les pays, ce qui simplifie la coopération transnationale, le développement des entreprises communes et le contrôle par les pouvoirs publics.

5. Comment la collaboration avec l’UE, dans le cadre de la coopération EuroMed, peut-elle apporter des réponses aux questions environnementales ?

L’UE est connue pour son système bien développé de réglementation environnementale qui peut être considéré comme l’un des exemples à transmettre aux pays du Sud de la Méditerranée. Tant les institutions publiques que les institutions privées de l’UE contribuent au système d’éco-labélisation et d’éco-certification, influençant le choix des consommateurs et des entreprises. Ainsi, l’Allemagne et l’Autriche sont les pionniers des programmes de marchés publics verts. Depuis 2008, la Commission européenne a élaboré plus de 20 critères communs en matière de marchés publics verts couvrant un large éventail de secteurs. L’UE a également proposé des critères de deux types différents, à savoir les critères de élémentaires (core criteria) et les critères exhaustifs (comprehensive criteria). Les critères élémentaires portent sur les principaux impacts écologiques et sont faciles à vérifier, tandis que les critères exhaustifs sont plus stricts et plus complexes et exigent des efforts de vérification supplémentaires. La diversité des critères garantit la flexibilité de la stratégie en matière de marchés publics verts, qui peut être adaptée aux besoins d’une industrie et d’un pays particuliers.

6. Existe-t-il d’autres cadres de coopération (régionale, bilatérale) dont le Sud pourrait bénéficier ?

Nous insistons particulièrement sur la coordination des marchés publics verts en tant que forme de soutien environnemental entre les différents pays. Nos recherches montrent que les marchés publics verts peuvent être liés au soutien à l’environnement dans plusieurs pays lorsque l’un peut être un donateur et l’autre un bénéficiaire. Un pays qui dispose d’une capacité financière et institutionnelle plus importante pour développer les marchés publics verts peut augmenter ses dépenses publiques écologiques, ce qui permet à un pays dont la capacité financière et institutionnelle est plus faible de développer des marchés publics verts et de bénéficier ainsi de la demande écologique du pays partenaire. Les donateurs sont en mesure d’établir les normes et le contrôle de la qualité qui permettent de diminuer ou même d’éviter l’écoblanchiment (greenwashing) et, en même temps, de diffuser les normes écologiques correspondantes auprès du bénéficiaire. En étant accepté, le système de critères environnementaux pourrait uniformiser les règles pour les entreprises de tous les pays participants en facilitant leur accès aux marchés et en diminuant la dégradation de l’environnement. Cette approche pourrait être envisagée pour la collaboration entre l’UE et les pays de la région MENA afin de renforcer les politiques environnementales de ces derniers et d’établir un premier pas vers l’harmonisation des approches des politiques écologiques.

7. Quelle est votre principale recommandation pour les décideurs du Sud de la Méditerranée ?

Tout d’abord, nous recommandons la mise en œuvre à grande échelle des marchés publics verts en tant qu’approche efficace de la mise en place d’une politique environnementale. Bien qu’il s’agisse d’un outil volontaire, il peut motiver les entreprises à opter pour les technologies vertes, même lorsque la seule incitation provient du gouvernement. L’effet peut être amplifié en tenant compte de la demande éco-biaisée des consommateurs qui, à son tour, peut être encouragée par la politique publique correspondante. Dans le même temps, les marchés publics verts ne sont pas sans risque : l’absence de supervision publique peut réduire l’effet positif de l’approche politique ce qui permet aux entreprises de faire de l’écoblanchiment, ou de porter atteinte à la qualité de leurs produits en matière environnementale. Par conséquent, une politique de suivi correspondante est nécessaire.

La deuxième principale recommandation est d’opter pour l’harmonisation à long terme de la politique environnementale, même entre pays ayant des capacités économiques et institutionnelles différentes afin d’introduire des instruments politiques symétriques.

La coordination des politiques environnementales revêt une importance particulière pour les pays du Sud de la Méditerranée en vue d’atteindre les objectifs de développement durable (ONU, 2015), ainsi que pour les deux raisons suivantes. Premièrement, la part relativement faible du commerce intrarégional avec l’UE, qui devrait augmenter en raison de l’agenda politique actuel du partenariat commercial euro-méditerranéen. Ainsi, la poursuite de la libéralisation des échanges accroîtra les possibilités de coopération entre les régions et une harmonisation des politiques environnementales pourrait s’avérer essentielle pour éviter l' »effet havre de pollution » mentionné ci-dessus. Deuxièmement, le déclin de la croissance économique dans la région MENA qui pourrait être partiellement redressée avec la contribution d’une intégration commerciale plus profonde. En même temps, l’augmentation de la dégradation de l’environnement qui pourrait correspondre à la croissance économique peut être atténuée par la coordination des politiques environnementales.

Propos recueillis par Constantin Tsakas

This activity received financial support from the European Union through the FEMISE project on “Support to Economic Research, studies and dialogues of the Euro-Mediterranean Partnership”. Any views expressed are the sole responsibility of the speakers.

FEMISE à l’atelier du Plan Bleu sur « Les instruments économiques des politiques environnementales »

Le Plan Bleu et l’Unité de Coordination du Plan d’Action pour la Méditerranée ont reçu le mandat des Parties Contractantes de préparer un nouveau rapport sur l’état de l’environnement et du développement en Méditerranée qui sera présenté à la Conférence des Parties à la Convention de Barcelone fin 2019.

Ainsi, le Plan Bleu a organisé un Atelier « Quels enjeux majeurs dans les zones marines et côtières en Méditerranée ? Données et tendances » au Campus du développement (ex CEFEB) de l’AFD à Marseille (France), les 12 et 13 décembre 2017.

L’objectif était de constituer un groupe d’une trentaine d’experts thématiques, issus d’institutions internationales, méditerranéennes, mais aussi nationales et locales, afin de contribuer à l’élaboration du rapport. Trois experts du réseau FEMISE ont été mobilisés, contribuant à identifier les thématiques prioritaires, les informations manquantes, et les connaissances devant être améliorées à propos des instruments économiques pour l’adaptation au changement climatique. L’objectif étant d’apporter du contenu utilisable dans le prochain rapport du Plan Bleu sur l’État de l’environnement et du développement en Méditerranée.

Aperçu des trois présentations FEMISE

Dr. Constantin Tsakas (General Manager of Institut de la Méditerranée, Secretary General of FEMISE)

Dr. Constantin Tsakas (Délégué Général de l’Institut de la Méditerranée, Secrétaire Général du FEMISE) : « Stratégies et instruments Sud-Med pour le changement climatique: quelle cohérence d’action pour l’atténuation / adaptation et quels autres besoins? »(présentation disponible ici)

Le changement climatique est une thématique de premier plan pour les pays Méditerranéens, du fait des fortes interconnections entre économie et environnement. Ces interdépendances font émerger des opportunités, en termes de création d’emplois, de ressources, mais aussi des problématiques (montée des eaux, stress hydrique…)

Les pays Sud-Méditerranéens sont impactés sur tous les fronts par le changement climatique (écosystème marin, biodiversité, populations vulnérables, agriculture, tourisme…), et les implications socio-économiques représentent une source potentielle de révoltes et de conflits. Malgré ces enjeux, beaucoup de pays Méditerranéens ont connu une augmentation des émissions de CO2 par habitant.

Quelles instruments économiques pour les politiques de l’environnement ? La taxinomie des instruments identifiés par les chercheurs du FEMISE, dans le cadre du travail mené pour le prochain rapport IM-FEMISE-ENERGIES2050 sur l’impact du changement climatique en Méditerranée (à paraitre en 2018), recense les biens environnementaux (marchés publics « verts »), les régulations (quotas, normes…), la création de nouveaux marchés (autorisation d’émissions, compensations en cas de dépassement des seuils autorisés), l’utilisation des marchés existants (taxes, subventions), et d’autres instruments tels que les labels et standards énergétiques. Sur papier, tous les pays Méditerranéens (sauf la Libye) ont un cadre politique concernant les énergies renouvelables. Ces pays ont adopté quelques uns de ces outils dans des secteurs spécifiques (énergies renouvelables, transport et tourisme, et gestion des déchets).

Parmi les instruments pour les énergies renouvelables, on a d’abord les appels d’offres publics au Maroc (projets de grande échelle), en Palestine, en Jordanie et en Israël (installations solaires photovoltaïques et éolien). Ensuite, des objectifs ciblés ont été définis (en termes de capacité ou de couverture) pour le chauffage et la climatisation issus d’énergies renouvelables. Des tarifications garanties pour l’électricité produite à partir d’énergies renouvelables ont aussi été instaurées, notamment en Algérie (pour l’électricité issue du photovoltaïque). Enfin, on retrouve des taxes, comme celles sur la consommation d’énergie, sur le gaz naturel et sur les produits énergivores en Algérie.

Concernant les mesures mises en place pour la gestion des déchets, nous avons surtout des instruments utilisant le marché existant. En Tunisie, le FODEP subventionne les installations de dépollution ou de collecte et recyclage de déchets, et une taxe sur la VA des producteurs d’articles polluants a été instaurée. Le Maroc a mis en place une redevance pour le déversement de liquides et le rejet de déchets (basée sur le principe du « pollueur-payeur »), et une écotaxe sur les produits en plastiques et les emballages

Pour les secteurs du tourisme et des transports, les instruments suivants ont été identifiés : une taxe sur l’enregistrement des véhicules d’occasion en Tunisie, une subvention pour les démarches de labellisation écologique « Moussanada Siyada », et un fond « RENOVOTEL 3 » dédié à la mise à niveau environnementale des établissements touristiques au Maroc.

Les revenus issus des taxes environnementales varient entre pays Méditerranéens. En Tunisie ils étaient seulement de 1.16% du PIB en 2014, ce qui demeure insuffisant en comparaison de la Slovénie (3.9% du PIB, pour un PIB similaire à la Tunisie) ou du Maroc (1.72% du PIB). Parmi les pays de la région, la Turquie est le pays où le revenu des taxes représentait la plus grande part du PIB (3.83%), bien que ce pays ne soit pas comparable en termes de démographie ou de tourisme (la taille du pays compte dans les recettes fiscales).

Des efforts sont en cours sur le plan institutionnel, en particulier au Maroc (reconnaissance du développement durable en tant que droit pour chaque citoyen) et en Tunisie (changement climatique reconnu dans la Constitution en 2014), mais aussi à un degré moindre en Algérie. Mais il reste beaucoup à faire : la part des énergies renouvelables reste insuffisante dans le mix énergétique, et seule une part marginale des financements est destinée aux énergies renouvelables, alors que la majeure partie des fonds étant toujours attribuée aux énergies traditionnelles.

Le contexte (post-printemps arabes, pressions sociales) est à prendre en compte dans les orientations futures. La problématique clef est le manque de ressources pour implémenter des mesures favorables aux énergies « vertes », alors que les activités utilisant de grandes quantités d’énergies demeurent une grande source d’emplois. À long terme, l’enjeu sera de réorienter l’épargne et l’emploi vers des projets émettant moins de CO2.

Les recommandations préliminaires soulignent le besoin de continuer l’adaptation au changement climatique, tout en intégrant les réalités socio-économiques. La dynamique des innovations sociales et financières devrait servir à construire des solutions pour initier des partenariats visant à une Méditerranée « dé-carbonée » basée sur des principes de solidarité et de convergence économique. Les pays Mediterranéens devraient ainsi coopérer et échanger leurs bonnes pratiques. Enfin, face au problème des données disponibles (insuffisantes ou obsolètes), il est nécessaire d’établir une cartographie des outils à disposition et de procéder à leur évaluation, et de créer un observatoire sur les données climatiques pour permettre un meilleur suivi de l’évolution des pays.

Dr. Myriam Ben Saad (Université Panthéon-Sorbonne, Université du Sud Toulon-Var, FEMISE)

Dr. Myriam Ben Saad (Université Panthéon-Sorbonne, Université du Sud Toulon-Var, FEMISE): «Soutenir le développement des énergies renouvelables à l’aide d’instruments économiques en Méditerranée» (présentation disponible ici)

La région MENA détient le plus grand potentiel solaire et éolien du monde, ce qui représente une opportunité en termes de marché, d’infrastructures, de transfert d’énergies. Les enjeux sont la sécurisation des sources d’énergies d’une part (la région faisant face à une rareté des ressources en eau), et la diversification énergétique et économique d’autre part (source d’emplois, potentiel au niveau des chaines de valeur).

Après un aperçu de la littérature existante, trois variables d’intérêts reviennent régulièrement : les énergies renouvelables, l’investissement dans ces énergies, et l’effet des énergies renouvelables sur l’environnement.

Des études montrent que les politiques et les instruments favorables aux énergies renouvelables aident à promouvoir et à diversifier ces énergies, ainsi qu’à encourager l’investissement (bien que l’efficacité varie selon le type de politique mis en place et le niveau de revenu des pays). De telles politiques implémentées en Chine ont favorisé l’émergence d’un marché des énergies renouvelables plus efficient, avec un meilleur accès aux ressources financières et aux nouvelles technologies, et les taxes ont permis de promouvoir l’énergie solaire dans les villes andalouses.

La littérature est plus riche concernant l’effet des énergies renouvelables sur l’environnement. Une estimation sur 24 pays Méditerranéens montre que les énergies renouvelables ont un effet très positif sur la croissance, mais les politiques d’énergies renouvelables demeurent insuffisantes dans ces pays. Des études identifient une relation bidirectionnelle entre consommation d’énergies renouvelables et commerce d’une part et croissance économique d’autre part. D’autres papiers montrent l’impact positif des énergies renouvelables sur la réduction des émissions de CO2, sur la création d’emploi à court terme.

La production d’électricité à partir d’énergies renouvelables a doublé entre 2008 et 2015, mais sa part dans la production totale d’électricité à déclinée à cause d’une croissance de la production d’électricité issue d’énergies fossiles supérieure à celle issue d’énergies renouvelables.

Source des ER dans l’électricité, 2015, %

De fortes disparités demeurent parmi les pays. L’Arabie Saoudite ne semblait pas produire d’électricité à partir d’énergies renouvelables en 2015, alors que la part d’électricité produite à partir de ces énergies était supérieure à 30% du total en Turquie et à 15% du total au Maroc.

Les pays Méditerranéens ont des stratégies de diversification plus ou moins poussées : le Liban et la Syrie reposent presque exclusivement sur l’énergie hydraulique, alors l’Algérie et la Turquie intègrent aussi d’autres sources comme le solaire, l’éolien, le géothermique… Au Maroc, les sources d’énergies renouvelables sont équilibrées entre éolien et hydraulique (50-50) mais un biais potentiel dans les données est suspecté (les projets solaires ne semblent pas pris en compte).

Plusieurs initiatives de coopération régionales et PPP ont été menés pour des projets d’énergies renouvelables.

La BERD a récemment financé la centrale solaire de Benban en Egypte (2017). Ce projet doit permettre de réduire les émissions de CO2 et de créer des emplois dans une région où 50% de la population est sous le seuil de pauvreté. Aussi, Engie a investi dans la construction d’un parc éolien dans le Golfe de Suez (2017). De plus, le partenariat Maroc-Espagne a permis la construction d’une usine de fabrication de pales d’éoliennes à Tanger, représentant un potentiel de près de 600 emplois.

Parmi les initiatives régionales, le Plan Solaire Méditerranéen a mis en place un cadre politique favorable au déploiement des technologies d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique à l’échelle régionale. Le Centre Régional pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique vise à favoriser et à conforter l’adoption de pratiques d’énergies propres dans la région. La Conférence MENA sur les énergies renouvelables est un cadre dédié à la promotion et au renforcement des partenariats en matière de développement et de création de marchés des énergies solaires et éoliennes.

Le cadre d’action est composé de politiques réglementaires (tarif d’achat, quotas obligatoires, facturations nettes…), d’incitations financières et de financement public (subventions, crédits d’impôts, taxes…)

Par exemple, l’Algérie, le Maroc et la Tunisie ont instauré un tarif d’achat pour l’électricité renouvelable, des subventions pour l’investissement dans les énergies renouvelables, ainsi que des systèmes de facilitation d’accès au crédit (bonification du taux d’intérêt, fonds de garantie, lignes de crédits). Le Maroc et la Tunisie ont aussi mis en place des incitations fiscales (droits de douane réduits ou exemption de TVA pour les équipements)

Les barrières aux énergies renouvelables identifiées  sont les caractéristiques du Marché (taille réduite, rendements faibles, temporalité du risque, risque de change, les subventions aux énergies fossiles, absence de stratégie de développement énergétique…) et les risques météorologiques et technologiques (disponibilité aléatoire des ressources, manque de données actuarielles).

Une hausse significative des investissements dans les infrastructures d’énergies renouvelables, et la révision du système de subvention (en particulier supprimer les subventions aux énergies fossiles, contrainte majeure pour l’efficacité des énergies renouvelables) sont recommandées.

Pr. Mohamed Salah Matoussi (Faculté de Sciences Economiques et de Gestion de Tunis, FEMISE)

Pr. Mohamed Salah Matoussi (Faculté de Sciences Economiques et de Gestion de Tunis, FEMISE) : «Prix et marchés actuels et potentiels de l’eau en Tunisie et dans le SASS: impacts sur l’allocation régionale, les exportations alimentaires et l’efficacité technique» (présentation disponible ici) 

Une distinction est nécessaire entre l’utilisation de l’eau dans le secteur agricole (en tant que facteur de production devant être régit par la loi de rareté) et l’eau potable consommée par les ménages (en tant que bien vital non soumis à la loi du marché). Une gestion décentralisée de l’eau est plus pertinente.

La Tunisie subit un stress hydrique sévère, du fait de la raréfaction et de la dégradation des ressources en eau (changement climatique, surexploitation des eaux souterraines…) Les ressources en eau disponibles ont ainsi fortement diminuées (plus de 1000 m3/an/hab en 1960 à 410 m3/an/hab en 2017)

La stratégie de gestion de l’eau, axée essentiellement sur une gestion de l’offre (où les coûts marginaux sont rapidement croissants), consiste en une mobilisation maximale des ressources pour que le développement du pays soit le moins entravé, les priorités définies étant la construction et la réhabilitation de barrages et lacs collinaires, le recyclage des eaux usées…

Projet SASS : Présentation de la région

Le Projet de Système aquifère du Sahara septentrional concerne une des plus grande nappes du monde et s’étend sur l’Algérie, la Tunisie et la Libye. Il représente en 2017 une surface irriguée d’environ 300 000 Ha et une mobilisation d’eau entre 3 et 4 Milliards de m3. L’utilisation actuelle de la nappe est supérieure à ses capacités de renouvellement, et cette surexploitation impacte négativement les Oasis. Une gestion durable de l’eau est donc indispensable. Mais la philosophie initiale des 3 pays concernés était de mobiliser le maximum d’eau pour produire la quantité maximale de produits agricoles.

On retrouve trois schémas d’exploitations : les exploitations ayant un accès libre à l’eau, les exploitations publiques bénéficiant d’une eau subventionnée, et les exploitations privées ne bénéficiant pas de subventions. Ces dernières sont plus productives que les exploitations libres ou subventionnées, et valorisent au mieux la ressource : les exploitants privés ont une élasticité-prix et une élasticité-productivité de l’eau biens supérieures aux autres types d’exploitations.

Cette politique n’étant pas soutenable, elle devrait être remplacée par une approche de gestion intégrée et transversale des ressources disponibles (eau, énergie, agriculture, environnement) basée sur le nexus suivant : tarification l’énergie – tarification de l’eau – accroissement de la production agricole et meilleure conservation de la ressource.

Un nouveau modèle hydro-économique doit être utilisé pour la gestion de la ressource en eau. Il doit mener à une utilisation optimale de l’eau et à une maximisation de la production agricole, tout en intégrant la contrainte du coût de la dégradation environnementale (coût de pompage et, salinité de l’eau). Lorsque ce coût est internalisé, les quantités d’eau consommées et la surface irriguée optimales sont inférieures à celles obtenues dans le modèle où la dégradation n’est pas prise en compte, mais les revenus agricoles sont supérieurs (augmentation de 13% par rapport au modèle initial). En d’autres termes, en préservant la ressource, on produit plus.

Présentation de recherches récentes (voir le powerpoint pour plus de détails)

Un article modélise le problème de l’allocation des ressources en eau au secteur agricole, dans un univers de rareté de la ressource et d’information incomplète. Un tel modèle doit assurer une efficacité économique tout en prenant compte de contraintes inévitables : utilité pour les usagers au moins équivalente à celle dont ils bénéficiaient par le passé, disponibilité de plus en plus réduite de la ressource, et information incomplète sur sa valeur d’usage. Il est ainsi nécessaire de révéler la valorisation réelle des agriculteurs et d’intégrer le coût de la rareté dans la tarification de la ressource.

Un deuxième article évalue l’impact d’une augmentation du prix de l’eau sur la production et l’exportation de cultures irriguées (dattes et agrumes) : pour une hausse de 100% du prix, les cultures de dattes sont plus négativement impactées que les cultures d’agrumes (diminution des exportations de 17.5% et 4.4% respectivement). La mise en place une tarification appropriée de l’eau pour les exploitants d’agrumes permettrait de conserver la ressource sans impacter significativement les producteurs. En revanche, une augmentation des tarifs dans les zones où la datte est cultivée provoquerait un ralentissement très significatif de la production et de l’exportation.

Un dernier article mesure l’efficacité des cultures de dattes tenues par des exploitants privés d’une part, et par des associations d’usagers d’eau d’autre part. Les résultats montrent que les deux systèmes sont inefficaces, mais des exploitations privées légèrement plus efficaces que les exploitations associatives. Les résultats montrent également que la salinité de l’eau a un impact fortement négatif sur la productivité des cultures de dattes.

par Jocelyn Ventura (FEMISE)