Archives du Tag : politiques publiques

Med Change Makers e06 : Alexandra FLAYOLS, Education & insertion des jeunes de Marrakech

 

FEMISE a récemment lancé sa série d’entretiens «Med Change Makers».

Les «Med Change Makers» sont des entretiens (texte et vidéo) qui permettent aux chercheurs FEMISE dynamiques d’illustrer comment leur recherche aborde une question politiquement pertinente et comment elle contribue au processus d’élaboration des politiques dans la région Euro-Méditerranéenne.

 

Le rôle clé de l’éducation dans l’insertion professionnelle des jeunes de la région de Marrakech 

Entretien avec Alexandra Flayols, Université de Toulon, FEMISE

Le FEMISE a récemment publié le Policy Brief « Le rôle clé de l’éducation dans l’insertion professionnelle des jeunes de la région de Marrakech »

Auteur du MED BRIEF, Dr. Alexandra Flayols souligne le rôle important de l’éducation secondaire dans l’accès à un emploi rémunéré. Cependant, beaucoup de jeunes abandonnent tôt leurs études. L’analyse des motifs d’arrêt des études est primordiale afin que les pouvoirs publics puissent mettre en place des mesures efficaces. Entretien :

1. Dans ce policy brief, l’accent a été mis sur les obstacles en amont à l’insertion professionnelle des jeunes, à savoir l’éducation. N’y a-t-il pas d’autres facteurs clés freinant cette insertion? Alors, pour quelles raisons est-il plus optimal d’investir dans l’éducation?

L’éducation n’est évidemment pas le seul facteur influençant l’insertion professionnelle des jeunes marocains. Plusieurs études ont mis en évidence l’existence d’autres facteurs pouvant contraindre l’insertion professionnelle des jeunes. Parmi ces facteurs ont peut citer une précédente expérience professionnelle, la situation financière du jeune, sa mobilité, la catégorie socioprofessionnelle de ces parents, les politiques actives du marché du travail…

En ce qui concerne les facteurs pouvant plus spécifiquement être rattachés au cas marocain, le lieu de résidence peut par exemple contraindre l’insertion professionnelle des jeunes. La région de Marrakech-Tensift-Al Haouz (MTH) qui fait l’objet de cette étude est principalement rurale (198 communes rurales contre 18 urbaines). Bien que l’enquête OCEMO (2008) exploitée dans ce travail ne permette pas de distinguer le lieu de résidence faute de données, nos résultats montrent un impact différentié du niveau d’éducation en milieu urbain et en milieu rural. De plus, le manque de création d’emplois dans le secteur privé alors même que l’on observe une dynamique moins forte de la demande de travailleurs dans le secteur public, qui jusque dans les années 1990 était le principal employeur des travailleurs qualifiés constitue un frein à l’insertion supplémentaire.

Nous avons choisi de nous focaliser sur l’éducation car outre le fait qu’il s’agit d’un facteur déterminant de l’insertion professionnelle, c’est une problématique centrale au Maroc qui connaît des difficultés dans ce domaine. De plus, le fait que le diplôme ne constitue pas une protection contre le chômage au Maroc, comme c’est le cas dans les pays développés nous pousse à porter une attention particulière à cette problématique. L’investissement dans l’éducation est devenu une norme dans les pays développés toutefois, s’il est important afin de permettre aux économies de monter en gamme dans la chaine de valeur internationale, il n’est pas pour autant une condition suffisante dans l’accès à l’emploi. L’adéquation entre les formations et le marché du travail est ainsi particulièrement importante. La qualité de l’éducation est également primordiale et est très critiquée au Maroc.

2. Qu’elles sont les principaux motifs que vous avez identifiés pour l’abandon des études par les jeunes au Maroc ?

La raison financière est la première qui pousse les jeunes marocains à abandonner leurs études (23%). Suivie par la lassitude (21%) et des résultats scolaires insuffisants (15%). Les motifs d’abandon de la scolarité sont révélateurs des difficultés rencontrées dans le système éducatif et peuvent aussi permettre aux pouvoirs publics de cibler leurs interventions. Ainsi, en regroupant les différents motifs d’arrêts selon qu’ils soient volontaires ou involontaires nous avons pu constater que 60% des jeunes subissent l’arrêt des études ; ce taux atteint même 67% en milieu rural. Nous avons pu observer d’autres disparités selon le milieu de résidence, mais également en fonction du genre. Les jeunes filles en milieu rural subissent ainsi plus souvent la décision de leurs parents qui ne souhaitent pas qu’elles poursuivent leurs études (12% contre 6% en milieu urbain). L’éloignement de l’école est également un motif important d’arrêt des études puisqu’il concerne 19% des jeunes en milieu rural contre à peine 4% en milieu urbain.

3. Vous avez précisé que le niveau d’étude secondaire est un pré-requis important pour les jeunes, à la fois, pour améliorer leur probabilité de continuer les études et leur chance d’être mieux inséré professionnellement. Donc quel est à votre avis le meilleur moyen pour rendre l’éducation secondaire plus attractive aux jeunes?

L’un des premiers moyens qui pourraient être mis en œuvre concerne la qualité de l’éducation qui comme nous l’avons vu à la question précédente pourrait être un moyen d’inciter les jeunes à poursuivre leurs études. Ces dernières années, les écoles privées ont connu un essor important au Maroc or, leur qualité reste contestable et le prix élevé renforce les inégalités d’apprentissage entre les élèves de famille aisée et ceux issus d’une couche sociale plus modeste. La qualité de l’éducation passe aussi bien par son contenu que l’encadrement et la création de nouvelles écoles. La langue d’apprentissage est par exemple une cause non négligeable des difficultés de certains jeunes. Ainsi, le français qui jusque-là était considéré comme une langue étrangère est désormais utilisée comme langue d’enseignement dans le supérieur pour les filières scientifiques et l’économie. L’orientation des jeunes qui n’ont pas le niveau attendu en français est alors contrainte.

Il apparaît également primordial de porter une attention particulière aux débouchés des filières proposées que ce soit pour l’enseignement général ou la formation professionnelle. Cela pourrait constituer une motivation supplémentaire pour les jeunes de poursuivre dans ces filières. Enfin, la mise en place de passerelles dans le système éducatif pourrait également diminuer le nombre d’abandons car les jeunes pourraient se réorienter plus facilement.

4. Comme vous l’avez souligné, certains arrêts d’étude sont involontaires. Quelles recommandations vous donneriez aux pouvoirs publics pour limiter ces cas ou au moins pour faciliter la transition de ces jeunes vers le milieu professionnel?

Parmi les motifs involontaires d’arrêt des études, la raison financière est la plus importante. Ces résultats indiquent l’existence d’une marge de manœuvre importante pour améliorer le taux de rétention des jeunes dans la région de MTH. Bien que les réformes de la fin des années 90 aient amélioré l’accès à l’éducation, ce dernier est encore restreint dans les zones rurales notamment pour les jeunes femmes. Il ne s’agit pas nécessairement d’augmenter les dépenses dans le secteur de l’éducation, mais de mieux cibler les mesures à l’exemple du programme Tayssir. Ce dernier vise à réduire l’absentéisme en accordant des bourses aux élèves assidus pour les ménages les plus démunis. La phase pilote menée dans certaines communes rurales laisse entrevoir des résultats positifs notamment dans les niveaux d’éducation les plus élevés. Nos résultats ont mis en évidence qu’une femme avec un niveau d’éducation au moins égal au secondaire a 1,7 fois plus de chance d’avoir accès à un emploi rémunéré or, leur accès à l’éducation est particulièrement contraint dans les régions rurales puisqu’elles ont 1,4 fois moins de chance d’avoir accès à un niveau d’éducation secondaire que les femmes en milieu urbain. Des mesures visant cette sous-population seraient donc bénéfiques.

De plus, l’hypothèse d’un manque d’encadrement ou d’enseignants ou encore, un contenu inadapté des enseignements pourrait expliquer cette lassitude ressentie par les jeunes ainsi que leur échec scolaire. La qualité de la formation des enseignants devrait donc être également au cœur des préoccupations du gouvernement marocain. Le taux d’encombrement des classes de seconde est également élevé ; des classes moins surchargées seraient sans doute favorables à un meilleur apprentissage.

Enfin, pour faciliter la transition vers le milieu professionnel des partenariats avec les entreprises pourraient être envisagés notamment en ce qui concerne les formations professionnelles. Cela permettrait de mieux cibler les besoins du marché du travail à l’image des SIVP[1] en Tunisie. Ces partenariats pourraient s’accompagner de mesures visant à favoriser l’embauche de ces jeunes pour lesquels l’entreprise aurait contribué à la formation.

5. N’y a-t-il pas différentes tendances dans la longueur des études et différents mécanismes derrière l’insertion professionnelle des jeunes femmes et des jeunes hommes? Est-ce que cela impliquerait des recommandations distinctes par genre?

Bien que l’accès à l’éducation ce soit amélioré pour les femmes il existe encore des disparités. Nous ne disposons pas de données précises sur la durée des études par genre. Toutefois, les estimations de Barro et Lee (2010) concluent à un écart de 1,67 année quant à la durée moyenne de scolarisation. De plus, le refus des parents concernant la poursuite des études est un motif important d’abandon des études pour les jeunes femmes notamment en milieu rural. La poursuite des études pour les jeunes femmes semble donc plus contrainte que celle des hommes. L’arrêt des études correspondant à la volonté de créer une famille est également cité par les jeunes femmes marocaines alors que ce motif ne l’est jamais par les hommes. Ce choix a nécessairement un impact sur l’insertion professionnelle des femmes que ce soit en raison d’un trop faible niveau scolaire si elles ont abonné leurs études trop tôt ou de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Les mécanismes d’insertion professionnelle sont en effet différentiés selon le genre. Des études soulignent des différences à la fois dans la mise en œuvre des stratégies d’insertion professionnelle, mais également concernant l’éviction de certaines sphères professionnelles par exemple. Si les pouvoirs publics souhaitent améliorer l’accès au marché du travail des jeunes femmes, une attention particulière doit leur être portée.

[1] Stage d’Initiation à la Vie Professionnelle.

Le MED BRIEF est disponible au téléchargement en cliquant ici.

Propos recueillis par Constantin Tsakas

This activity received financial support from the European Union through the FEMISE project on “Support to Economic Research, studies and dialogues of the Euro-Mediterranean Partnership”. Any views expressed are the sole responsibility of the speakers.