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L’impact des transferts des émigrés sur le niveau de vie des ménages: étude comparative entre le Liban, le Maroc et l’Algérie

L’émigration libanaise, historiquement très ancienne, a toujours joué un rôle important dans la vie économique et sociale des ménages. Plus récemment, les flux migratoires des Libanais allant à l’étranger ont continué à augmenter pour différentes raisons, suivant la conjoncture politique et économique nationale, régionale et même internationale. Les transferts de fonds de l’étranger vers le Liban ont donc toujours constitué une part importante des ressources du pays. En se référant aux estimations faites par la Banque mondiale[1], le Liban occupe le premier rang parmi les pays de la région (MENA) quant à l’importance des transferts par rapport au PIB (22,4% en 2009). Le Maroc comme l’Algérie sont aussi parmi les pays pour lesquels les remises de fonds constituent une part importante du PIB (respectivement 6,6% et 1,4%).

Les flux des capitaux transférés par les émigrés sous forme de remises d’investissements ou de dépôts bancaires constituent une composante essentielle de l’économie libanaise et représentent une part importante des ressources du pays.

L’importance de l’émigration apparait aussi dans la société. En effet un bref aperçu historique de l’émigration libanaise met en relief la tradition des Libanais à émigrer et à créer des réseaux et filières migratoires dès les premières vagues d’émigration. Cette mise en perspective historique de l’émigration libanaise permet de ressortir, pour les trois vagues principales d’émigration des Libanais depuis la fin du dix-neuvième siècle, le caractère massif de ces mouvements, la multiplicité des destinations et l’inégale participation des régions et des communautés religieuses dans la dynamique migratoire.

Cette recherche s’est focalisée sur l’analyse de l’impact des remises des émigrés sur les ménages libanais, et s’est aussi penchée sur les rapprochements avec le Maroc et l’Algérie où les transferts des émigrés constituent aussi une part importante des revenus des ménages concernés. Elle a été réalisée en trois phases : la première phase a consisté à mener une enquête auprès de 2000 ménages libanais dont 1000 recevant des transferts de l’étranger 1000 ne recevant pas (Juin-Octobre 2012). Cette enquête avait pour principal objectif d’évaluer et d’estimer l’importance des montants reçus, de connaitre quels sont les domaines de leur utilisation et de leur destination et enfin d’étudier leur impact sur la structure de la consommation des ménages comparée à celle des ménages de même catégorie socio-économique ne recevant pas d’aide extérieure.

La deuxième phase a consisté à retenir un petit nombre de localités rurales ou semi rurales (12) réparties dans les différentes régions libanaises et connues pour avoir une tradition d’émigration, pour observer la localité et ses habitants dans une approche qualitative. Cette approche avait pour objectif de déceler l’impact des aides extérieures sur les transformations de la collectivité locale et de repérer aussi, les transferts du savoir-faire, d’investissement professionnel et de nouvelles valeurs à l’échelle du groupe dans son ensemble.

La troisième phase devrait permettre de faire des rapprochements avec les données d’enquêtes déjà disponibles, concernant le même sujet au Maroc et en Algérie, pour essayer de ressortir les particularités et/ou les ressemblances entre ces trois pays en ce qui concerne l’impact des transferts de l’étranger sur les niveau de vie des ménages.

 Pour la réalisation de l’enquête auprès des ménages, principale source d’informations dans cette étude, l’échantillon des ménages a été tiré à partir des données de l’enquête nationale effectuée en 2009 dans le cadre de l’OURSE (Observatoire universitaire de la réalité socio-économique) de l’Université Saint Joseph de Beyrouth, sur « L’émigration des jeunes Libanais et leurs projets d’avenir ». 200 ilots ont été tirés en donnant à chaque îlot une probabilité proportionnelle au nombre de ménages dans l’îlot recevant une aide extérieure, dans chaque ilot 10 ménages ont été sélectionnés 5 recevant des transferts de l’étranger et 5 ne recevant pas, comme ménages témoins.

Cette technique a permis de concentrer l’enquête dans un nombre relativement réduit d’îlots, ce qui permet de réduire les coûts, tout en assurant une représentativité des différentes régions dont les caractéristiques en matière d’émigration et de niveau de vie sont très variables.

Dans les 2000 ménages interrogés, 7471 membres résidents ont été répertoriés pour lesquels les informations individuelles ont été recueillies. Le nombre d’émigrés apparentés aux ménages s’est élevé à 3356 individus pour lesquels les informations individuelles ont été, aussi, collectées.

Le questionnaire divisé en 10 parties, comprend des variables de catégorisation des ménages, les caractéristiques socio-professionnelles des membres, et des variables se rapportant aux caractéristiques des émigrés en rapport avec les transferts. La collecte des données s’est déroulée entre Juillet et Octobre 2012, avec en plus des difficultés habituelles de toute enquête à sujet délicat concernant les revenus et les dépenses, les difficultés dues à l’état d’insécurité régionale et nationale. De multiples contrôles et de tests de cohérence et de vraisemblance faits au bureau pendant et après la fin de la collecte, ont permis d’épurer les fichiers et d’assurer un degré de fiabilité globalement satisfaisant.

Cette enquête a permis de connaitre les caractéristiques socio-économiques des ménages profitant des transferts de l’étranger comparées à celles des ménages sans transferts : taille et composition, nombre d’enfants résidant avec le ménage au Liban et ne résidant pas avec le ménage, existence des proches émigrés, profil démographique du chef de ménage, son lieu de résidence, son niveau d’instruction, son activité. Nombre de scolarisés, nombre d’actifs, nombre de travailleurs par ménage. D’autres variables se rapportant aux différentes sources de revenus et leurs montants, aux divers postes de dépenses, ainsi qu’à la satisfaction des ménages quant à leur revenu, l’importance et la nécessité des transferts reçus dans la vie quotidienne, les postes de dépenses les plus lourds ainsi que les modalités d’utilisation des transferts reçus ont pu être dégagés à partir d’un nombre important de variables prévues à cet effet.

Elle a permis aussi de révéler les caractéristiques des membres des ménages suivant un axe comparatif entre les ménages profitant des transferts de l’étranger et les ménages sans transferts : type de résidence, âge et genre, état matrimonial, occupation, niveau d’études, informations supplémentaires sur les universitaires concernant la spécialisation, le pays d’obtention du diplôme, le financement des études , l’apport des transferts de l’étranger pour la poursuite des études, connaissance des langues étrangères, situation quant à l’activité économique, métiers exercés, statut professionnel, secteur d’activités économiques, revenus. Les chômeurs ont été interrogés sur des informations plus ciblées concernant : les causes et la durée de chômage, les difficultés rencontrées et les modalités de recherche d’emploi.

 Cette enquête a aussi permis de ressortir les caractéristiques des émigrés en relation avec les transferts. Pour les différents critères pouvant avoir un impact sur le transfert il a été possible de déterminer le poids des émigrés dans chacune des modalités de la variable considérée et de nuancer l’existence de transfert en fonction de sa régularité ou pas et de sa destination : envoie de transfert ou pas, régulièrement ou pas, envoyait n’envoie plus, envoie à un autre ménage. Ces catégories ont été combinées avec l’âge et le genre de l’émigré, le lien avec le chef de ménage, l’état matrimonial, les raisons de départ, le pays de destination, le niveau d’instruction, l’activité économique, les liens entretenus avec la famille au Liban et le pays en général, les investissements faits au Liban et à l’étranger et enfin l’intention de retour. Des questions plus ciblées sur les transferts ont permis de connaitre les montants envoyés, par quel moyen et depuis quand. D’autres questions ont permis de connaitre aussi la situation familiale de l’émigré en rapport avec l’émigration lié aux transferts : la nationalité et le lieu de résidence du conjoint, la présence d’enfants au Liban ou à l’étranger.

Dans la deuxième phase, l’étude qualitative effectuée dans une douzaine de villages, (choix des localités par sélection ciblée), axée sur les liens des émigrés avec le lieu d’origine, a permis de découvrir l’intérêt porté par les émigrés, non pas seulement à leur famille, mais à la communauté locale dans sa totalité et ceci à travers les différentes actions collectives menées grâce aux transferts financiers et au savoir-faire des émigrés originaires de la localité.

Etant donné l’importance du phénomène migratoire dans la société libanaise et dans son économie, (45% des ménages ont au moins un proche émigré depuis 1975), et la pénurie des informations sur les transferts, les informations recueillies dans ce projet ont comblé un vide et permis de mieux estimer l’importance des transferts dans le budget des ménages, de préciser les domaines d’utilisation de ces transferts et d’évaluer leur impact sur le niveau de vie des ménages.