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Med Change Makers e05 : Katarzyna SIDLO, Autonomisation des femmes et économie collaborative

 

FEMISE a récemment lancé sa série d’entretiens «Med Change Makers».

Les «Med Change Makers» sont des entretiens (texte et vidéo) qui permettent aux chercheurs FEMISE dynamiques d’illustrer comment leur recherche aborde une question politiquement pertinente et comment elle contribue au processus d’élaboration des politiques dans la région Euro-Méditerranéenne.

 

Stimuler les taux de participation des femmes au marché du travail dans la région MENA. L’économie collaborative peut-elle être utile?

Entretien avec Katarzyna Sidlo, Analyste Politique à CASE, chercheuse FEMISE

Le FEMISE a récemment publié le Policy Brief « Stimuler les taux de participation des femmes au marché du travail dans la région MENA. L’économie collaborative peut-elle être utile? ».

Auteur du MED BRIEF, Dr. Katarzyna Sidlo fait partie des chercheurs FEMISE qui participent activement aux activités du réseau. Son travail évalue le potentiel de l’économie collaborative pour accroître le taux d’activité des femmes dans la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord). Plus précisément, il examine les moyens par lesquels l’économie collaborative peut permettre aux femmes qui le souhaitent de rejoindre le marché du travail.

  1. Comment définissez-vous l’économie collaborative ? Pouvez-vous nous donner des exemples de telles initiatives dans différents secteurs ?

L’économie collaborative (ou de partage) fait référence aux modèles commerciaux qui créent un marché ouvert pour l’accès aux biens et aux services grâce à l’utilisation de la technologie moderne. Elle couvre une variété de secteurs, émerge rapidement dans le monde entier et offre de nouvelles opportunités aux citoyens, qui sont en mesure d’obtenir auprès des uns et des autres ce dont ils ont besoin, au lieu de s’adresser à de grandes organisations (du moins c’est la théorie). Parmi les exemples les plus connus d’entreprises d’économie collaborative, citons les applications telles que Uber ou Careem, le site Web d’hébergement entre particuliers Airbnb, les plateformes de crowdsourcing Kickstarter ou Indiegogo ou la place de marché en ligne Etsy. Beaucoup de ces noms sont déjà familiers.

  1. Pensez-vous que l’économie collaborative est une solution envisageable dans les pays de la région MENA, compte tenu des obstacles à l’accès à Internet et de la perception du public ?

Premièrement, selon la Banque mondiale, 59% des habitants de la région MENA sont des utilisateurs d’Internet. L’accès à Internet en tant que tel n’est donc pas un problème partout dans la région, même si, dans de nombreux endroits, le haut débit est coûteux, lent et généralement peu fiable et que dans beaucoup d’autres, en particulier dans les zones urbaines, il n’est tout simplement pas encore disponible facilement. Plus important encore, j’examinerais le problème posé dans la question sous un angle different : la possibilité de tirer parti de ce que l’économie collaborative peut offrir peut être un argument supplémentaire en faveur de l’extension des efforts visant à fournir un accès à Internet à autant de personnes que possible. Si Internet n’est pas disponible dans un village du sud de l’Égypte, il n’y aura pas non plus beaucoup d’offres d’emploi. En fournissant aux habitants d’un tel village un accès à Internet, vous leur donnez également la possibilité d’entrer sur le marché du travail. Par exemple, ils pourraient étudier gratuitement sur l’une des nombreuses plateformes MOOC (Massive Open Online Cours) disponibles – de plus en plus en arabe également – et acquérir des compétences qui leur permettront de trouver un emploi. Ils pourraient aussi donner des cours d’arabe en ligne (une plateforme, NaTakallam, propose de tels cours dispensés par des réfugiés), sans avoir à émigrer et à quitter leurs villages ou même leurs maisons.

Je suis fermement convaincue que même si un petit pourcentage de personnes dans une société donnée utilise cette chance, cela en vaudra la peine. Ainsi, bien que l’économie de partage ne résolve en aucun cas la totalité, ni même la plupart des problèmes liés à la faible participation des femmes (et des hommes) au marché du travail – cela ne serait pas le cas même si pratiquement toutes les personnes de la région avaient accès à un Internet rapide, abordable et fiable – cela pourrait grandement contribuer à atténuer ce problème.

  1. Quels sont les principaux obstacles à la participation des femmes au marché du travail dans la région MENA et comment l’économie collaborative apporte-t-elle des solutions innovantes pour y répondre ?

Les femmes de la région MENA qui souhaitent intégrer le marché du travail se heurtent à de nombreux obstacles, allant des problèmes pratiques (manque d’emplois, déplacements difficiles) aux problèmes de nature socioculturelle (restrictions des activités en dehors de la maison, responsabilités de prise en charge). Le l’économie partagée peut aider à en surmonter un certain nombre. Plus important encore, elle permet aux femmes d’effectuer un travail – et même de créer leur propre entreprise – dans le confort de leur foyer. Grâce à cela, même les femmes qui, pour diverses raisons liées à la famille ou à la culture, ne veulent pas travailler en dehors du foyer, peuvent gagner leur propre revenu (et l’autonomisation économique est un grand pas en avant vers l’autonomisation sociale et politique). Un autre bon exemple est celui des services de voiture de transport avec chauffeur, qui offrent une alternative plus sûre, plus fiable et moins chère (par rapport aux taxis traditionnels) aux transports en commun, défectueux ou carrément inexistants, souvent considérés comme inappropriés pour les femmes non accompagnées. L’Arabie saoudite en est un exemple extrême, où avant la levée de l’interdiction pour les femmes de conduire, celles-ci représentaient 80% des clients d’Uber et 70% des clients de Careem.

  1. L’une des recommandations de l’article était d’améliorer les cadres juridiques dans chaque pays de la région MENA afin de permettre le fonctionnement optimal des entreprises de l’économie de partagée. Quelles mesures concrètes peuvent être mises en œuvre avec succès dans la région dans son ensemble et dans des contextes spécifiques ?

L’un des principaux avantages de l’économie de partage est sa flexibilité. Cependant, cette flexibilité peut souvent aussi signifier un manque de clarté, par exemple en termes de responsabilité, de fiscalité, de protection du consommateur, de licence ou d’assurance. Pensez à des services tels que Uber, Careem ou Lyft : en cas d’accident, quelle assurance devrait couvrir les dommages? Étant donné que les conducteurs utilisent leurs véhicules privés, ils peuvent ne pas posséder une assurance commerciale, mais plutôt une assurance personnelle, ce qui peut conduire les assureurs à refuser la demande. La société propriétaire de la plate-forme sur laquelle les conducteurs sont jumelés avec des clients devrait-elle être responsible ? Les conducteurs, même leurs employés ou clients, utilisent-ils les fonctionnalités de la plate-forme ? La réponse à cette question détermine les réponses à de nombreuses questions ultérieures relatives à la protection sociale (congés de maternité, retraites, assurance maladie, etc.) des prestataires de services collaboratifs. Un autre problème est bien sûr lié à la fiscalité.

Malheureusement, il n’y a pas de réponse facile. L’Union européenne s’interroge par exemple sur la publication de directives au niveau de l’UE, mais la question de savoir si et dans quelle mesure l’économie partagée doit être régulée fait encore l’objet d’un débat animé. La grande question est bien sûr de savoir comment réglementer afin de ne pas sur-réglementer et donc de supprimer la flexibilité qui rend la participation à l’économie partagée si pratique

Dans la région MENA, les pays devraient réfléchir à des solutions qui fonctionnent le mieux dans leurs circonstances spécifiques. Par exemple, un système d’assurance maladie volontaire pourrait être mis en place pour aider les personnes qui gagnent leur revenu dans l’économie collaborative à obtenir une protection sociale (une étude intéressante sur ce sujet concernant la Tunisie et réalisée par Khaled Makhloufi, Mohammad Abu-Zaineh et Bruno Ventelou a été publiée récemment par le FEMISE). En Jordanie, où le gouvernement travaille à une réforme fiscale, la question de l’application de l’impôt sur les sociétés aux plates-formes collaboratives pourrait être examinée.

  1. Quel rôle voyez-vous pour la société civile et les ONG dans l’expansion de l’économie collaborative? Une coopération et des synergies entre différents acteurs / parties prenantes seraient-elles possibles selon vous ?

L’économie collaborative a une dimension à but lucratif et une dimension à but non lucratif. A propos de la participation croissante des femmes au marché du travail dans la région MENA et du rôle des OSC et des ONG, nous devrions probablement nous concentrer sur ces dernières. Le spectre des possibilités est vraiment large. Les deux types d’organisations pourraient par exemple aider les femmes à organiser leurs propres programmes de covoiturage, en s’entraidant pour se rendre au travail de manière pratique et quotidiennement. Elles pourraient créer des espaces de travail collaboratifs, où les femmes entrepreneurs pourraient créer et gérer leurs entreprises dans un environnement convivial, sûr et inspirant. Elles pourraient créer des cours en ligne en dialectes arabes locaux, fournir une formation gratuite aux femmes qui envisagent de créer leur propre entreprise, ou qui travaillent à la traduction en arabe de cours déjà disponibles sur diverses plates-formes MOOC et qui fournissent des connaissances et des compétences facilitant la recherche d’emploi. Tout cela – et bien plus encore – peut bien entendu être réalisé en collaboration entre différentes parties prenantes. Après tout, c’est ce qu’est l’économie collaborative.

Le MED BRIEF est disponible au téléchargement en cliquant ici.

Propos recueillis par Constantin Tsakas

This activity received financial support from the European Union through the FEMISE project on “Support to Economic Research, studies and dialogues of the Euro-Mediterranean Partnership”. Any views expressed are the sole responsibility of the speakers.

Les relations entre les institutions multilatérales et les Etats-nations du bassin méditerranéen : Compte rendu Conférence Toulon

PROSPECTIVES EN MÉDITERRANÉE :

CONTACTS, TENSIONS, VULNÉRABILITÉS

Les relations entre les institutions multilatérales et les Etats-nations du bassin méditerranéen : quels espaces de coopération et sources de tensions ?

Conférence PROSMED organisée par l’Université de Toulon avec l’appui du FEMISE*, Vendredi 03 juin 2016, 13h30 – 17h, Université de Toulon

Conférence PROSMED avec soutien FEMISE, Photo FEMISE

Conférence PROSMED avec soutien FEMISE, Photo FEMISE

Le processus de Barcelone signé en 1995 a posé les bases des relations de coopération entre l’UE et les pays du Sud de la Méditerranée. Cependant, 20 ans plus tard, il devient clair que le processus n’a pas rencontré le succès espéré. Les conditions politiques, sociales et économiques dans les deux rives ne sont plus les mêmes et cela se traduit par des relations distendues entre l’UE et les pays du Sud de la Méditerranée. Aujourd’hui, il devient de plus en plus difficile d’avoir une véritable vision sur l’avenir de la coopération Euro-Mediterranéenne. Suite à ce constat, les organisateurs de l’Université de Toulon (UTLN) et du FEMISE, ont souhaité s’entourer d’experts (Service Européen d’Action Extérieure, Banque Européenne d’investissement, FEMISE, Institut de la Méditerranée) pour traiter des questions de coopération entre l’Union Européenne et les pays du Sud de la Méditerranée. Quelles sont les difficultés actuelles, quelles coopérations peut-on à présent envisager et quel avenir pour la région Euro-Med ?

Conférence PROSMED avec soutien FEMISE, Photo Univ. Toulon

Conférence PROSMED avec soutien FEMISE, Photo Univ. Toulon

Après une introduction d’accueil par Dr. Y. Kocoglu (Université de Toulon) et L. Lévêque (Université de Toulon), Dr. Constantin Tsakas (Secrétaire Général du FEMISE et Délégué Général de l’Institut de la Méditerranée) a souligné que le thème de cette conférence était au cœur des problématiques du FEMISE.

Le réseau FEMISE est un « outil » qui fait le lien entre une grande institution qui est la Commission Européenne et les pays du Sud de la Méditerranée. Les pays du Sud semblent parfois mieux apprécier les recommandations de la société civile (ex. les Universités, les centres de recherche du réseau FEMISE) qui sont issues d’une approche plus souple et avec une image parfois plus complète des réalités économiques et sociales des pays du Sud. Ainsi FEMISE, qui compte 95 membres dont à peu près la moitié au Sud et en lien permanant avec les responsables politiques, est cette « voix » commune qui représente le point de vue des deux rives et qui permet parfois de faire passer des messages plus facilement.

Des relations entre l’UE et les pays du Sud qui ce sont distendues

Pr. Jean-Louis Reiffers (Institut de la Méditerranée), Photo Univ. Toulon

Pr. Jean-Louis Reiffers (Institut de la Méditerranée), Photo Univ. Toulon

Le Professeur Jean-Louis Reiffers (Pr. Emerite Université du Sud Toulon Var, Président du Comité Scientifique de l’Institut de la Méditerranée) ouvre le débat en insistant sur l’évolution des relations entre l’UE et les pays du Sud depuis le processus de Barcelone signé en 1995. Il rappelle que ce processus visait à établir des accords commerciaux privilégiés entre l’UE et les pays du sud et que ce processus comportait également un volet de réformes institutionnelles. Le processus de Barcelone n’a pas connu le succès espéré et les relations entre l’UE et les pays du sud de la méditerranée se sont distendues avec deux glissements importants. D’une part, l’attention de l’UE a été plus orientée à l’est suite à l’élargissement de l’UE vers les pays de l’est. D’autre part, la montée des puissances régionales au Moyen-Orient (Qatar, Arabie Saoudite, Turquie) a détourné les pays du sud de la méditerranée vers de nouveaux partenaires économiques et politiques.

Le Professeur Reiffers souligne avec insistance la nécessité de prendre en compte le fait que le commerce international génère également des « perdants » ceux dont les sources de revenus vont être mis à mal par les changements consécutifs à l’ouverture commerciale et les accords signés entre l’UE et les pays du sud ne tiennent pas assez compte de ce résultat et ne prévoient donc pas des politiques de redistribution qui permettrait d’assurer une croissance soutenable pour la population.

Enfin, M. Reiffers souligne qu’un élément est systématiquement absent des accords entre l’UE et les pays du sud de la méditerranée : il s’agit du capital humain. Le facteur travail a été analysé sous l’angle sécuritaire et de la menace d’immigration par l’UE et non sous l’angle d’un potentiel à développer par les politiques de formation et de qualification.

Politique de Voisinage : Ambitions et Limites

En deuxième partie, M. Mingarelli (Service Européen d’Action Extérieure) revient également sur le processus de Barcelone qui a marqué une volonté de donner une impulsion aux relations bilatérales par des accords d’association, et un dialogue entre la Commission Européenne et les pays partenaires sur des secteurs d’intérêt commun (énergie, transport, …).

Hugues Mingarelli (Conseiller au sein du Service européen pour l'action extérieure), Photo SAEE

Hugues Mingarelli (Conseiller au SEAE), Photo SEAE

M. Mingarelli souligne qu’en 2005, la Politique européenne de voisinage couvrait l’Europe orientale, le Caucase du Sud, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. L’un des objectifs est d’intégrer les économies de certains pays partenaires (Maroc, Tunisie) dans le marché unique de l’UE. Puis, les mouvements sociopolitiques initiés par les « printemps arabes » ont surpris l’UE mais également les autres puissances comme les USA ou la Russie. L’UE a, durant cette phase, proposé une aide à la transition politique avec par exemple de l’assistance technique sur l’amendement/rédaction de la constitution, sur l’organisation des élections, sur la mise en place d’une justice transitionnelle, sur une aide pour promouvoir les acteurs de la société civile (presse, syndicats, associations..).

Enfin, les conflits armés (Libye, Irak, Syrie) associés aux risques terroristes, aux mouvements de révoltes sociales et à la crise des migrants créent un climat de tensions fortes dans la région dans lequel il est difficile pour l’UE de dessiner un espace de coopération clair et serein avec les pays du sud. En 5 ans, les différents conflits dans la région (notamment en Syrie) ont provoqué des millions de déplacés dont 10 millions uniquement pour le conflit syrien soit 1/3 de la population.

Le besoin de redonner une Vision Régionale

Henry Marty-Gauquié (BEI), Photo Univ. de Toulon

Henry Marty-Gauquié (BEI), Photo Univ. de Toulon

La Méditerranée est plus fragmentée que jamais. C’est le constat que dresse M. Henry Marty-Gauquié (Directeur Honoraire BEI France) soulignant que la Méditerranée est particulièrement sensible et vulnérable aux chocs et crises exogènes. Ceci tient à sa composition socio-économique (mixité et interdépendance culturelle, sociale et économique entre le Nord et le Sud ; la faible résilience à l’adversité économique[1]) et à son positionnement géostratégique.

Au cours des 15 dernières années, la Méditerranée a subi une accumulation de chocs, souvent d’origine non méditerranéenne, mais ayant particulièrement atteint la région (ex. les attentats du 11 septembre avec diabolisation de l’islam, le contrecoup de la crise économique mondiale en 2008 et les tensions résultant de ses ampliations successives, le sursaut démocratique arabe et la guerre en Libye avec des conséquences sur le Sahel et le Machrek etc)

Pour M. Henry Marty-Gauquié, deux facteurs ont eu un effet particulièrement aggravant sur l’acuité des tensions en Méditerranée ? Il s’agit i. de la conflictualité généralisée générée par la mondialisation : crises économique, tensions sociétales, incapacité des nations occidentales à anticiper et gérer les crises etc et ii. de l’incapacité du monde arabe à gérer sa transition démocratique et à assurer son redressement économique.

Cela a contribué à une perte de vision sur les objectifs régionaux de coopération et de développement, au retour au bilatéral et aux relations différenciées entre l’UE et ses partenaires du Sud. Cela a induit la disparition de l’intérêt mutuellement avantageux à coopérer et à atteindre des objectifs d’intégration régionale.

Henry Marty-Gauquié, souligne que l’Union européenne reste un acteur majeur, mais qui n’est plus décideur en Méditerranée. Après 8 années de crise économique et de mise en danger de la cohésion européenne, l’UE semble donner la priorité à l’amélioration de sa stabilité économique et à la survie du projet européen, plutôt qu’au développement de son espace économique extérieur (Politique de voisinage).

Pour M. Henry Marty-Gauquié , l’UE ne sera capable de reprendre une position de leadership sur son voisinage Sud qu’à moyen ou long terme, lorsque des progrès auront été réalisés dans les domaines suivants :

  • Que la situation intérieure de l’UE se soit stabilisée (économiquement et politiquement) et que les opinions publiques se soient à nouveau emparées du désir d’intégration européenne, permettant la définition de nouvelles priorités pour la gestion de son voisinage (Sud et Oriental), ainsi que des instruments pour incarner la réalisation de ces objectifs (politiques et financiers) ;
  • Que la situation conflictuelle au Machrek, ainsi que la gestion des flux migratoires, aient trouvé des solutions stabilisatrices, permettant de diminuer la conflictualité dans la région (et dans les opinons européennes) ;
  • Que la volonté de coopérer autour de la gestion des « biens publics régionaux » en Méditerranée ait repris forme, au moins à l’échelle sous-régionale, par la prise d’une initiative politique majeure, intelligible pour les opinions et dotée de moyens politiques et financiers crédibles ;
  • Qu’une telle initiative intègre les dimensions régaliennes que les séquences conflictuelles ont fait émerger ces dernières années en Méditerranée : sécurisation contre les risques essentiels (alimentaire, sanitaire, énergétique et climatique), gestion des frontières, des flux migratoires, de l’équilibre des territoires, des générations et des genres. Ce qui suppose en préalable que les Etats membres de l’Union définissent entre eux un nouveau « pacte social » (ou constitutionnel) sur la gestion partagée de ces objectifs.
Conférence PROSMED avec soutien FEMISE, Photo Univ. Toulon

Conférence PROSMED avec soutien FEMISE, Photo Univ. Toulon

En dernière partie, le professeur Philippe Gilles (Professeur, Université de Toulon), après avoir synthétisé les débats, termine en mettant en perspective l’évolution des relations entre l’UE et les pays du sud par l’apport de la théorie économique. Il insiste sur la nécessité de considérer la redistribution des gains à l’échange et sur l’effritement des accords de partenariats qui ne seraient plus perçus comme mutuellement avantageux. Les pays du sud ne voient pas bien les avantages qu’ils pourraient tirer des accords proposés par l’UE alors que les contraintes en termes réglementaires et changements institutionnels sont fortes avec des conséquences immédiates notamment sur les normes de production. La question du conflit entre la souveraineté nationale et les accords régionaux, qui est présente également en Europe avec la montée de mouvements eurosceptiques, est très forte dans les pays du sud confrontés à des risques plus importants sur le plan sécuritaire. Aussi, avant même de penser aux perspectives d’intégration commerciale et financière, qui sont aujourd’hui vecteurs d’incertitudes, la priorité reste la consolidation de l’ordre intérieur.

En conclusion, il ressort de la conférence que les relations entre l’UE et ses voisins du Sud auraient fort besoin d’un nouveau souffle porté par une vision (un projet) politique de moyen-long terme.

[1] La société méditerranéenne est organisée autour du lien familial qui assure la solidarité face à l’adversité. Les politiques publiques de redistribution sont faibles et peu différenciées. Ces caractéristiques expliquent la vulnérabilité des sociétés méditerranéennes à la corruption et à l’économie souterraine.

* Le FEMISE a participé à cette manifestation avec l’aide financière de l’Union Européenne dans le contexte du projet UE-FEMISE sur: « Support to economic research, studies and dialogue of the Euro-Mediterranean Partnership”.

Quels espaces de coopération entre institutions européennes et États du bassin méditerranéen ?

Hugues Mingarelli, Conseiller au sein du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) a présenté son analyse sur les différentes formes de coopération entre l’UE et le sud de la Méditerranée le 3 juin 2016 lors d’un cycle de conférences PROSMED organisé à l’Université de Toulon avec le soutien du Femise *.

Hugues Mingarelli, Conseiller au sein du Service européen pour l'action extérieure. Photo SAEE

Hugues Mingarelli, Conseiller au sein du Service européen pour l’action extérieure. Photo SAEE

Quels outils l’UE peut-elle partager avec les pays du Sud  de la Méditerranée pour favoriser leur intégration ? 

Hugues Mingarelli : L’UE peut partager son expérience en matière de transition politique et économique, et les faire bénéficier de toute l’expérience qu’elle possède en matière de coopération régionale. Elle peut également mettre à disposition son expertise pour favoriser une presse indépendante, pour garantir une justice efficace, la tenue d’élections décentes, pour que les droits de l’homme soient pris en compte dans le travail de la police.

Est-ce que l’Accord de Libre Echange Complet et Approfondi (ALECA) envisagé entre la Tunisie et l’UE semble adaptable à d’autres pays? 

Hugues Mingarelli : Il faut chercher des solutions taillées sur mesure pour chacun des pays partenaires. L’idée de l’ALECA est de se libérer des bannières douanières généralement peu élevées pour les pays déjà membres de l’OMC. Il s’agit également de donner l’occasion aux pays qui le souhaitent la possibilité d’intégrer notre marché intérieur par la reprise des normes et standards de l’Union. Actuellement, des négociations avec la Tunisie et le Maroc se poursuivent, mais si d’autres pays du Moyen-Orient sont intéressés par ce genre d’approches, c’est-à-dire par une insertion progressive dans le marché de l’Union, je crois qu’ils ont tout intérêt à discuter avec l’UE de la possibilité d’accords de ce type-là.

Comment l’actualité et les changements politiques au  Sud influent-ils sur le processus d’intégration ?

Hugues Mingarelli : L’aspiration à la démocratie a provoqué dans un certain nombre de pays un désir redoublé de profiter de l’expérience que peut avoir l’UE en matière de transition démocratique. Mais dans certains pays cela a débouché sur une grande instabilité, comme par exemple en Libye. Et lorsque l’instabilité atteint un certain niveau, il devient difficile de promouvoir la transition et de profiter de ce que l’UE peut proposer comme expérience dans ce domaine.

Quel rôle les institutions de la société civile, à l’exemple du FEMISE, peuvent-elles jouer ? 

Hugues Mingarelli : Nous avons compris depuis longtemps déjà que nous ne pouvons plus nous contenter de rapports d’Etat à Etat, d’organisations internationales à Etat mais qu’il est important justement que la société civile prenne sa place dans les processus de transition politique et économique. Il faut continuer à travailler dans cette direction.

 

* Le FEMISE a participé à cette manifestation avec l’aide financière de l’Union Européenne dans le contexte du projet UE-FEMISE sur: « Support to economic research, studies and dialogue of the Euro-Mediterranean Partnership”.

 Propos recueillis par Laetitia Moreni, Econostrum.

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Pour une politique de voisinage différenciée

Senén Florensa, président exécutif de l’Institut Européen de la Méditerranée (IEMed). (Photo N.B.C)

Senén Florensa, président exécutif de l’Institut Européen de la Méditerranée (IEMed). (Photo N.B.C)

D’ici deux ans, une nouvelle politique européenne de voisinage verra le jour. Un recadrage nécessaire pour intégrer la nouvelle donne géopolitique au sud. L’Institut Européen de la Méditerranée (IEMed), membre du réseau FEMISE, participe activement à ce travail de révision en profondeur et livre en avant-première les orientations qui pourraient être prises.

4 000 experts (universitaires, think tank…) issus de 43 pays de l’Union pour la Méditerranée (UpM) ont été sollicités en 2015 par l’Institut Européen de la Méditerranée (IEMed) pour exprimer leur opinion sur la réforme de la politique européenne de voisinage. 900 ont répondu au questionnaire de 40 pages.Leur riche contribution permet de proposer une nouvelle direction à la politique européenne de voisinage. « Il faudrait mettre en place une politique de voisinage différenciée pour les pays de l’Est et ceux du sud. Nous devons intégrer dans l’analyse l’incidence des grandes puissances en dehors de la région méditerranéenne. Avec la mondialisation, nous devons tenir compte de l’influence positive ou négative des États-Unis, de la Russie, de la Chine », explique Senén Florensa, président exécutif de l’Institut Européen de la Méditerranée (IEMed).

Trois statuts

Trois niveaux de statut différenciés pourraient coexister, selon les résultats de l’enquête. « Tout d’abord, le cercle des pays désireux d’avancer dans un projet d’intégration dans un espace économique commun euro-méditerranéen. Je pense au Maroc et à la Tunisie, peut-être aussi la Jordanie et le Liban. À ce niveau d’association, les pays doivent engager une démarche volontaire et bénéficier en retour d’un soutien européen renforcé. D’autres Etats tels que la Libye, l’Égypte, décideront s’ils veulent participer à ce processus d’intégration économique. Si ce n’est pas le cas, nous considèrerons ces pays comme de simples pays associés. Enfin, la dernière catégorie de pays fait l’objet d’une politique différenciée (Sahel, Pays du Golfe, l’Afrique sub-saharienne, l’Iran). Dans le cas du Sahel, la question de la sécurité constitue un préalable à la stabilisation de l’économie.Des synergies doivent être trouvées entre le Sud et le nord autour de nouveaux projets», détaille Senén Florensa, lors de la conférence annuelle du FEMISE 2016 qui s’est tenue à Athènes.Il suggère d’associer les représentants des gouvernements locaux des pays, des experts indépendants issus de la rive sud (universitaires, chefs d’entreprises) à l’action de la politique européenne de voisinage révisée. « La politique européenne de voisinage de la Commission doit s’affranchir de sa vision technocratique », affirme l’économiste espagnol. Bruxelles reprendra-t-elle toutes ces suggestions ? Rien ne semble moins sûr. « Dans une communication en novembre 2015,  la Commission européenne n’a pas donné de réponse claire aux questions posées lors de la consultation », ajoute Senén Florensa. Elle rappelle tout de même qu’il n’existe pas d’équivalent dans le monde au processus de Barcelone en matière d’aide au développement.Pour en savoir plus sur la conférence et l’intervention de M. Senén Florensa,  cliquez ici.
Interview  par Nathalie Bureau du Colombier, Econostrum lors de la Conference 2016 du FEMISE, Athènes, Grèce.

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