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L’Égypte peut rendre ses entreprises plus performantes avec une réforme de la fiscalité

Le dernier rapport Femise (FEM41-08) pointe du doigt les freins à la productivité des entreprises installées au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Bien avant la corruption ou le manque de visibilité du monde des affaires, les entreprises égyptiennes subissent une pression fiscale qui affecte leur productivité. Une prise de conscience politique pourrait permettre d’encourager les entreprises à devenir plus compétitives.

 

Les entreprises égyptiennes subissent une pression fiscale qui affecte leur productivité (photo : F.Dubessy)

Les entreprises égyptiennes subissent une pression fiscale qui affecte leur productivité (photo : F.Dubessy)

Saviez-vous qu’en Égypte, les entreprises s’acquittent de vingt-neuf impôts différents par an nécessitant quelque 392 heures pour remplir les déclarations ? La ponction fiscale représente également 42,6% des bénéfices. Pas étonnant que le pays arrive en bas de classement en terme de pression fiscale, 148 e sur 189 pays ! « Afin d’améliorer la productivité des entreprises, le gouvernement égyptien doit revoir sa politique fiscale », préconise le rapport FEMISE.

Intitulé « Performance des Entreprises dans le Processus de Transition: le Rôle des Contraintes d’Affaires et des Institutions dans la Région Sud-méditerranéenne » (disponible ici), le  document, coordonné par Inmaculada Martínez-Zarzoso, professeur d’économie à Jaime (Espagne), a été publié en décembre 2016.

Au total, vingt-deux contraintes réduisent la productivité globale. Bien évidemment, les facteurs internes tels que les aptitudes, les compétences des salariés entrent en ligne de compte dans l’analyse globale de la compétitivité d’une entreprise.
Si la fiscalité arrive en tête de classement, d’autres facteurs externes tels que la corruption, le manque de visibilité législative, le prix de l’immobilier, le coût du foncier, l’accès et le coût au financement bancaire ou tout simplement les prix de l’eau et de l’électricité constituent de réels handicaps pour les entreprises.

Une nouvelle réalité après la révolution de 2011

L’étude analyse les freins à la performance des sociétés avant et après la révolution de 2011. De nouveaux obstacles ont surgi rendant le climat des affaires moins propice à l’investissement, notamment l’incertitude réglementaire et politique, la corruption et le crime. « La révolution avait comme objectif de susciter des opportunités économiques et sociales ouvrant la voie à la croissance économique et à l’emploi. Cependant, le pays est devenu instable du point de vue politique. Cette période de transition a un impact direct sur la performance dans le secteur privé », souligne le rapport.

Avant les événements du Printemps Arabe, l’interventionnisme était de mise en Égypte, comme dans la plupart des États du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Les économistes du FEMISE analysent également dans le rapport d’autres pays de la région : Liban, Jordanie, Maroc et Tunisie.

Là encore, l’incertitude réglementaire et politique, la corruption et la criminalité se sont aggravées. « Ces résultats ont des implications politiques importantes. Les actions spécifiques à l’égard des entreprises devraient permettre de réduire les principaux obstacles et par conséquent encourager les entreprises manufacturières égyptiennes à devenir plus compétitives », conclut le rapport.

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Article réalisé en partenariat avec Econostrum.

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Plus productives, les entreprises du Moyen-Orient exportent-elles davantage ?

Comment se comportent les Pme du Maghreb et du Moyen-Orient à l’export ? Une entreprise productive, exporte-t-elle davantage ? Alfred Tovias, professeur en relations internationales à l’université hébraïque de Jérusalem et Jan Michalek, professeur d’économie à l’université de Varsovie, ont livré les résultats préliminaires de leur étude lors de la conférence annuelle du Femise le 14 février dernier à Athènes*.


Alfred Tovias, professeur en relations internationales à l’université hébraïque de Jérusalem. (Photo N.B.C)

Alfred Tovias, professeur en relations internationales à l’université hébraïque de Jérusalem. (Photo N.B.C)

Alfred Tovias et Jan Michalek ont choisi la productivité comme variable principale d’une étude à paraître à la fin de l’été 2016 et financée par le Forum euro-méditerranéen des instituts de sciences économiques (Femise).Productivité de la main d’œuvre, taille et ancienneté de l’entreprise, niveau de recherche et de développement, composition du capital social déterminent la capacité des entreprises à positionner leurs produits sur les marchés étrangers. Lors de la conférence annuelle du Femise, le 14 février 2016, Alfred Tovias, professeur en relations internationales à l’université hébraïque de Jérusalem et Jan Michalek, professeur d’économie à l’université de Varsovie, ont présenté les résultats préliminaires de leurs travaux.« Nous travaillons sur les déterminants des exportations des entreprises dans les pays MENA en utilisant comme critère de comparaison les pays d’Europe centrale et de l’Est (qui ont rejoint l’Union européenne), la Turquie et Israël. Nous voulons savoir si les exportations sont une fonction de la productivité des entreprises. Dans les pays de l’Est et en Israël, la productivité des firmes est déterminante sur leur capacité à exporter », explique Alfred Tovias.

« Dès leur création, les entreprises tunisiennes sont tournées vers l’export »

« Dans les pays MENA (Egypte, Israël, Maroc, Jordanie), l’utilisation de technologies étrangères joue un rôle important dans la capacité à exporter », précise Jan Michalek.Ce phénomène s’explique par les innovations de ces entreprises. Elles ont introduit des nouveaux produits et investissent énormément en recherche et développement. « Nous notons également qu’elles font appel à des universitaires », fait remarquer Alfred Tovias qui soulève une particularité. « En Tunisie et au Maroc, ce ne sont pas des entreprises nouvellement créées qui exportent. Ces start-ups tunisiennes aux capitaux étrangers sont intégrées à la chaîne de production internationale. Elles exportent des produits fini et semi-finis. Les entreprises traditionnelles d’avant la transition étaient orientée vers le marché domestique », analyse Alfred Tovias.Spécialiste des relations économiques dans les pays méditerranéens Alfred Tovias a rejoint le Femise dès sa création en 1996. Dans le cadre des études réalisées pour le Femise, il a coopéré avec les universités européennes (française, polonaise) et du sud de la Méditerranée (Maroc et Turquie).

Aux côtés d’économistes des deux rives de la Méditerranée, il a publié en 2005 une étude sur l’économie israélienne.

* Entretien réalisé par NBC lors de la conférence annuelle du Femise (13-14 Février, 2016, Athènes, Grèce). Pour en savoir plus sur la conférence,  cliquez ici.

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Les changements structurels, base du développement économique en Méditerranée

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Le passage vers une économie de service assure un levier au développement économique (photo F.Dubessy)

Pour assurer son développement économique et améliorer sa productivité globale, un pays doit s’engager dans une stratégie de réaffectation des ressources, associée ou non à une politique industrielle. Une étude du Femise analyse la portée de ces changements structurels dans quatre pays : Maroc, Tunisie, Égypte et Turquie.

Réalisée avec le soutien financier de la Banque européenne d’investissement et de la Commission européenne, la dernière étude du FEMISE se penche sur les résultats des stratégies de réaffectation des ressources du Maroc, de la Tunisie, de l’Égypte et de la Turquie. Tous ont connu une transformation structurelle en passant d’une économie basée sur l’agriculture à une économie orientée vers les services et les secteurs industriels.

Cette évolution a connu des rythmes de changements structurels très inégaux. L’agriculture représentait 50% du PIB de la Turquie dans les années 60. Aujourd’hui, les services assurent plus de 60% de son PIB. Le Maroc a connu un développement plus lent, avec une industrialisation par petites touches (25 à 30% d’emplois en plus dans l’industrie dans les vingt dernières années).

D’importants écarts de productivité persistent en raison d’une transformation encore insuffisante. La Turquie se distingue avec une forte croissance de la productivité globale. Alors que le changement structurel peine à produire ses effets sur les économies égyptienne et tunisienne.

Inadéquation entre l’offre et la demande

Le rapport identifie une cause majeure à cette carence : le changement structurel assurant un passage vers une économie de services s’est traduit en Turquie par une réaffectation vers les secteurs à haute productivité, comme la finance et l’assurance. Dans le même temps, en Égypte, ce transfert s’effectuait vers des industries de services à faible productivité. Entre les deux, la Tunisie bénéficie de deux leviers de développement, le tourisme et la finance.

Le rapport du Femise relève aussi, malgré de gros efforts portés sur l’éducation, l’inadéquation entre l’offre et la demande: « Le marché du travail ne prévoit pas pour la population instruite des possibilités d’emploi appropriées.» précise le rapport. Ceci démontre la lenteur du changement structurel et la difficulté à passer à une industrie génératrice de produits à forte valeur ajoutée.

Depuis le début du siècle, ces quatre pays se tournent vers des politiques industrielles ciblées, incluant le soutien à la R&D, la protection de l’environnement et les incitations aux Pme, notamment par des régimes d’exonérations. Utilisé avec une orientation régionale comme levier de développement, ce dernier outil assure également un rééquilibre entre les différentes régions. L’Égypte favorise fiscalement les entreprises s’implantant dans les nouvelles zones industrielles ou communautés urbaines ainsi que dans les régions défavorisées. La Turquie cible les Provinces les plus pauvres en accordant aux entreprises des mesures incitatives d’investissement allant jusqu’à l’exonération totale d’impôt sur le revenu.

* Le rapport thématique a été produit en collaboration avec l’Economic Research Forum sous le titre : Structural transformation and industrial policy: A comparative analysis of Egypt, Morocco, Tunisia and Turkey.  Téléchargez le rapport (anglais seulement, pdf, p.268, 7.2MB)

Article par Frédéric Dubessy, Econostrum. www.econostrum.info.

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Photos par Econostrum

Quand la pluie et le beau temps influent sur l’économie

FEM34-23Sécheresses, canicules, inondations à répétition impactent l’exploitation des terres agricoles et la production. Ce phénomène freinera à terme les investissements et aura une incidence notable sur la consommation avec la flambée annoncée du prix des matières premières. Les chercheurs du Femise publient une étude (FEM34-23) mesurant les effets du changement climatique en Egypte en 2050.

Si rien n’est fait, le changement climatique aura pour effet de réduire le PIB de l’Egypte de 10% en 2050 ! C’est dire l’importance capitale qu’il revêt sur l’économie. Changement climatique ne signifie pas simplement hausse des températures et du niveau des précipitations.  Il faudra intégrer la variabilité climatique avec des situations de plus en plus extrêmes. Orages, canicules, inondations auront des effets dévastateurs.

Sherman Robinson et Dirk Willenbockel, deux experts anglo-saxons, se sont associés à Abeer Elshennawy, professeur à l’Université américaine du Caire et coordonnateur de l’étude  Femise (FEM34-23 ) intitulée « Changement Climatique et croissance économique : analyse par un modèle d’équilibre général intertemporel pour l’Egypte ».

Ils se sont attachés à modéliser le changement climatique en Egypte en étudiant plusieurs scénarios.

DES MESURES POUR PRÉVENIR LES EFFETS DU CHANGEMENT CLIMATIQUE

Entre 1960 et 1990, les températures ont grimpé de 3 à 3,5 degrés et, d’ici 2050, il faut s’attendre à une nouvelle hausse de 2°C.

Vraisemblablement, l’activité touristique du pays en pâtira mais il sera loin d’être le seul secteur touché. L’agriculture, particulièrement vulnérable aux écarts de température et précipitations, risque de subir des dégâts importants.

L’Egypte a pris toute la mesure de l’impact climatique lors de la canicule de 2010. Les exploitations agricoles, concentrées dans la vallée et le delta du Nil, ont été cruellement affectées avec pour conséquence la flambée des prix. Nul doute que la productivité agricole risque de pâtir en raison de la hausse des degrés.

Les experts ont souligné également l’incidence des coupures électriques sur l’outil de production et plus spécifiquement sur les systèmes de refroidissement.

Une situation qui risque à terme de dissuader les investisseurs. Comment envisager d’installer une aciérie, une cimenterie, une verrerie sans électricité en continu ? Les économistes du Femise estiment que la hausse du prix de l’électricité se répercutera sur les coûts de production.
Outre l’impact sur la consommation et l’investissement, il faudra également intégrer la dépréciation de l’immobilier, notamment en zone côtière, conséquence directe de la hausse du niveau de la mer.

L’étude Femise préconise de mettre rapidement en place des mesures afin d’atténuer l’impact du changement climatique : améliorer l’efficacité des systèmes d’irrigation, protéger les côtes et les plantations.

Avec ces premières mesures, l’Egypte pourrait déjà réduire la perte de son PIB de 4% en 2050.

Photo : Le Haut- Barrage en Egypte (Al Sad el Aali) par Michel Guilly 

Article par Nathalie Bureau du Colombier, Econostrum. www.econostrum.info.

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De deux décennies de «libéralisation dévoyée» vers «un développement démocratiquement organisé»: Etude des cas de l’Egypte, du Maroc et de la Tunisie

  1. L’ensemble des pays de la Méditerranée, rive Nord et rive Sud, exception faite de la Turquie, constitue aujourd’hui une des régions du monde les plus en crise, et cette crise en Europe est telle qu’elle accroît sensiblement les difficultés des pays méditerranéens et du Moyen-Orient. Certes, les « révolutions arabes », en particulier celles qui ont été observées et qui ont semblé couronnées de succès, pour les pays qui nous intéressent dans cette étude, en Tunisie et en Egypte, auxquelles il faut joindre l’évolution démocratique spécifique en cours au Maroc, ont des causes multiples, mais pour nous, économistes, les déterminants « économiques » de ces mouvements sociaux et politiques ont eu (et continuent à avoir) un rôle majeur.

Pourtant, le « Processus de Barcelone » de partenariat euro-méditerranéen avait inauguré, de façon formelle, en novembre 1995, une politique de coopération de l’Union européenne porteuse de promesses de plus de croissance et de développement, vis-à-vis de douze pays des rives Sud et Est de la Méditerranée ; cette politique avait comme contenu essentiel, outre les propositions de coopération et d’assistance au plan politique, l’instauration d’une Zone de Libre Echange (ZLE) encadrée par la mise en œuvre d’Accords d’Association devant respecter les règles de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC).

L’idée de base de ces Accords et le principe du partenariat Euro-méditerranéen reposaient donc sur la même perspective que celle de la création de l’OMC : la libéralisation raisonnée des échanges commerciaux par la suppression progressive des tarifs douaniers et des contingentements, conformément aux analyses de la théorie libérale du Commerce International, serait avantageuse pour les pays des deux rives de la Méditerranée.

En particulier, les pays des rives Sud et Est, compte-tenu de leurs dotations naturelles en facteur travail et du niveau attractif de leurs salaires, étaient considérés comme en mesure de devenir rapidement compétitifs, une fois effectuée la « mise à niveau » de leurs entreprises situées dans les activités manufacturières. L’espoir mis dans l’afflux des investissements étrangers (les IDE) ainsi que dans les entrées de capitaux sous forme de prêts bancaires ou d’aides publiques devant aller aux secteurs d’activité prometteurs, constituait le point d’appui des choix politiques favorables à cette ouverture.

Cette ouverture devait entrainer une dynamisation de la croissance économique et les retombées de celle-ci (via le mécanisme du « trickle down ») devaient être bénéfiques pour tous ; en particulier, la création d’un nombre d’emplois capables d’absorber la main d’œuvre des jeunes générations arrivant de plus en plus nombreuses sur le marché du travail, était le but indirect mais attendu de cette libéralisation.

 

  1. Qu’en est-il donc, aujourd’hui, dix-sept ans « après Barcelone », des effets de ces politiques successives de libéralisation et de coopération économiques, et pourquoi faut-il s’interroger sur les « dévoiements » qui les ont accompagnées et qui sont à l’origine des « révolutions du printemps arabes» ?

Pour répondre à cette double question, il faut d’abord rappeler l’extrême fragilité de la théorie académique libérale du Commerce International : en effet, en dehors des hypothèses simplificatrices du « twoness », c’est à dire des modèles «2 ;2 ;2», deux pays, deux produits, deux facteurs, qui sont l’alpha et l’oméga de cette théorie, il est impossible de démontrer la validité analytique des quatre grands théorèmes sur lesquels elle repose (les théorèmes de Hecksher-Ohlin, Samuelson, Stolper–Samuelson et Rybczinsky) et qui sont considérés comme validant scientifiquement la doctrine libérale selon laquelle la libéralisation totale des échanges apporte le maximum de bien-être aux (habitants des) pays partenaires[1].

Il n’est donc pas surprenant que, la plupart du temps, l’ouverture ne débouche pas sur le « cercle vertueux » : {libéralisation du commerce extérieur → rééquilibrage du solde commercial via la hausse des exportations → hausse de l’emploi dans les secteurs exportateurs → augmentation des revenus distribués → hausse de la demande intérieure → hausse de l’investissement induit → hausse généralisée de l’emploi →… et ainsi de suite} prévu par la doctrine libérale.

Dès lors, il est nécessaire d’étudier au cas par cas pourquoi la « libéralisation commerciale », lorsqu’elle est mise en œuvre, réussit ou ne réussit pas ; c’est ce qui a motivé notre étude, compte tenu de l’échec relatif du « Processus de Barcelone », échec qui fait certainement partie des causes (multiples) des « révolutions » du printemps arabe.

 

  1. Le problème majeur qui affecte les trois économies de l’Egypte, du Maroc et de la Tunisie, étant celui du chômage, et notamment du chômage des jeunes, nous avons ciblé notre recherche sur les effets sur l’emploi de la libéralisation des échanges extérieurs dans les trois pays, au cours des deux dernières décennies, en procédant, dans une première étape, à trois études monographiques. Pour ce faire, nous avons analysé les conséquences du « Processus de Barcelone » sur le commerce extérieur et les « performances » des trois pays en matière de croissance et d’emploi, « avant » et « après » la mise en œuvre des Accords d’Association.

Il est apparu, si on résume à grands traits, les résultats de cette Première Partie de notre Rapport, que, loin de se résorber, les déficits commerciaux n’ont cessé de se creuser dans les trois pays, jusqu’à aujourd’hui. Ils n’ont donc pas bénéficié des bénéfices attendus de la mise en œuvre des Accords d’Association, que cette mise en œuvre ait eu lieu en 1998 (Tunisie), en 2000 (cas du Maroc) ou en 2004 (cas de l’Egypte) ; de ce fait, la croissance n’a pas été stimulée à la hausse comme attendu, ce qui s’est traduit par une hausse dans les trois pays du chômage, notamment du chômage des jeunes, des femmes et des diplômé(e)s, et cela dans le contexte d’une croissance démographique continue, même si on a observé des phénomènes intéressants de transition démographique dans la deuxième moitié des années 1990 (natalité en baisse, notamment au Maroc et en Tunisie avant l’Egypte).

En d’autres termes, la croissance n’a été inclusive ni « avant », ni « après Barcelone » malgré l’ouverture. Il est donc clair que le processus de libéralisation a été dévoyé de ses objectifs.

 

  1. Pour contrôler la crédibilité de ces constatations établies dans la première partie de notre étude, à partir de statistiques purement descriptives, et pour leur trouver des éléments analytiques d’explication, on a fait appel à l’économétrie afin d’évaluer le rôle de l’ouverture commerciale à côté des autres variables habituellement reconnues comme agissant directement sur la croissance et donc indirectement sur l’emploi si les modalités de cette croissance la rendent inclusive. Ces développements font l’objet de la deuxième partie de notre Rapport.

Cette démarche économétrique a procédé en deux étapes.

4.1.            Nous avons d’abord étudié le rôle de l’ouverture commerciale (à partir de la variable exportations) sur la dynamique de l’emploi, à côté d’autres déterminants de cette dynamique pour un ensemble de PVD ou émergents réunis dans un panel de 60 pays ayant choisi de libérer leurs relations commerciales ; dix pays de la région MENA figurent dans cet échantillon. Cette étude a mobilisé l’économétrie des panels dynamiques pour estimer les coefficients d’élasticité de l’emploi des personnes actives d’âge compris entre 24 et 65 ans, par rapport à plusieurs variables dont la technique économétrique utilisée permet d’identifier les variations comme ayant un rôle significatif sur l’accroissement de l’emploi. Les variables qui sont ressorties comme déterminantes de l’emploi sont la croissance (du Pib per capita), l’investissement, le capital humain (mesuré à partir des dépenses de santé), la productivité agricole et les exportations ; l’accès au financement (mesuré par le rapport au Pib du crédit bancaire) est apparu comme ayant un rôle ambigu : sa contribution marginale à l’emploi, estimée via une relation non linéaire (en fait « quadratique »), est positive en dessous d’un certain seuil (seuil de l’ordre de 21%) ; elle est négative au dessus. Quant au coefficient d’élasticité de l’emploi par rapport aux exportations (pour l’ensemble de l’échantillon), il est apparu comme relativement faible.

4.2.            Mais, le résultat le plus utile de cette première étape est que, dans une des spécifications économétriques testée découplant en cinq grandes régions géographiques le panel global initial de soixante pays, les coefficients d’élasticité de l’emploi par rapport au Pib obtenus pour les pays de la Région MENA ont semblé sensiblement différents de ceux obtenus pour le panel global ; cette particularité nous a incités à procéder à une étude spécifique pour cette région dans laquelle sont inclus les trois pays qui nous intéressent, étude qui a porté sur un panel réduit à dix pays[2].

Les résultats de cette étude empirique complémentaire font ressortir les spécificités des pays MENA en matière de dynamique de l’emploi. Ainsi, pour ces pays, si l’amélioration de la productivité agricole apparaît encore comme jouant un rôle significatif sur l’emploi, le signe de cette élasticité est, ici, négatif, contrairement au résultat observé pour le panel global ; il en est de même pour l’accès au financement : sa contribution marginale à l’emploi (testée sous forme linéaire) est fortement négative ; et, si on procède, comme pour l’échantillon global, au test d’une relation non linéaire, cette contribution reste négative en dessous d’un certain seuil, et positive au dessus, ce qui est le résultat exactement inverse de celui observé pour le panel complet ; on relève enfin que le coefficient d’élasticité de l’emploi par rapport à l’accroissement de l’investissement privé, s’il est positif, est très faible (il est quasiment nul).

 

  1. Face à ces résultats confirmant la spécificité des pays de la région MENA, il était indispensable d’étudier séparément la dynamique de l’emploi pour chacun des trois pays, sujets de notre étude, sur une plus longue période (en fait plus de trois décennies) englobant l’« avant » et l’« après Barcelone » ; pour ce faire, ce sont les développements les plus récents de l’économétrie des séries temporelles qui ont été mobilisés pour cet approfondissement de l’analyse.

Les résultats de ces estimations menées de façon très rigoureuse ont donné les coefficients d’élasticité suivants :

Elasticités de l’emploi par rapport aux cinq variables identifiées comme significatives

pays

PIB/cap

Capitalhumain Fbcf privée Exports  IDE Trend Constante

 

Egypte

 

0,786

 

0,263

 0,451

  

 0,441  0,438 193 1983
Maroc

 

 1,191  0,079 0,001    1,003

  

 0,079 6,710 3291
Tunisie

 

 0,134  0,677 0,004    0,283

  

 2,319 ns 187,41

 

La hausse du PIB par tête, c’est-à-dire la croissance, apparaît, pour l’Egypte et le Maroc, comme le premier déterminant de l’emploi mais ce n’est pas le cas pour la Tunisie ; le développement du capital humain(mesuré ici par le taux de scolarisation dans l’enseignement secondaire) est le deuxième déterminant de l’emploi pour ce pays, la Tunisie, après les IDE, alors qu’il est le moins bon déterminant pour l’Egypte, pays pour lequel les trois autres déterminants (la Fbcf dans le secteur privé, les exportations et les IDE) semblent avoir une influence assez voisine. En revanche, la « Fbcf privée » semble jouer un rôle quasiment nul sur la dynamique de l’emploi au Maroc et en Tunisie. Ce pays, au contraire, devrait compter sur les IDE (et sur l’éducation, ce qui donne une idée sur le type d’IDE qui sont attirés par ce pays) pour développer les opportunités d’emploi.

Les investissements directs étrangers sont considérés, en effet, eux aussi, d’habitude, comme des déterminants de l’emploi. Nos tests vérifient cette hypothèse : les coefficients d’élasticité calculés sont significatifs et positifs pour les trois pays. Mais les ordres de grandeurs de ces coefficients estimés sont extrêmement différents : la création d’emploi en Tunisie est « cinq fois plus élastique » aux IDE qu’en Egypte et presque « trente fois plus élastique » qu’au Maroc.

Revenons, un instant, sur l’investissement privé : le fait que cet investissement apparaisse, dans cette analyse en séries temporelles, comme n’étant pas un déterminant vraiment efficace de l’emploi, joint au constat résultant de l’étude en panel effectuée pour les pays MENA, selon lequel que le crédit bancaire apparait comme ayant une influence négative sur le développement de l’emploi [sauf au delà d’un seuil relativement élevé], est révélateur de l’inadéquation des systèmes financiers, dans les trois pays, face aux besoins de financement des entreprises ; or, celles-ci qui, pour la plupart, sont des PME, pourraient être fortement créatrices d’emplois si elles arrivaient à trouver aisément à se financer.

Ce résultat met en lumière un problème structurel majeur qui est l’échec de l’investissement privé à créer assez d’emplois et donc à contribuer à une croissance inclusive robuste dans ces trois pays.

Enfin, les performances à l’exportation, cinquième déterminant de la croissance de l’emploi, si elles jouent un rôle intéressant au Maroc, ont un rôle tout à fait mineur dans le cas de la Tunisie et elles jouent un rôle mitigé dans le cas de l’Egypte.

 

Conclusion 

Pour remettre sur la bonne voie le processus de libéralisation, il apparaît qu’un ensemble de mesures de politique économique d’accompagnement sont indispensable ; celles-ci se répartissent entre des mesures à prendre à court terme (il s’agit, en quelque sorte, de mesures conjoncturelles) et des mesures plus substantielles, à savoir des mesures à portée structurelle indispensables pour rendre « inclusif », en matière d’emploi, le processus de développement ; il s’agit donc d’une véritable politique d’engagement de l’Etat à moyen et long termes.

Ces mesures sont énoncées sous forme d’un ensemble de propositions, dans les dernières pages du Rapport ; elles sont aussi reprises dans le « Policy Brief » joint au dossier.

 

[1] Dès qu’on passe à trois pays, et/ou à trois produits, ou que l’on considère qu’il y a des « facteurs (de production) spécifiques », aucun de ces « grands » théorèmes « fondateurs de la doctrine libérale » ne tient…

[2] Cet échantillon regroupe l’Algérie, l’Egypte, la Jordanie, le Liban, la Mauritanie, le Maroc, la Syrie, la Tunisie, la Turquie et le Yémen.

 

Décentralisation et Performance Economique dans les Pays Sud-Méditerranéens

Le déficit démocratique qui caractérise les pays au Sud de la Méditerranée a engendré, entre autre, de grandes inégalités spatiales et de multiples formes d’exclusion économique et sociale qui ont, in fine, conduit aux révoltes arabes. Dans le contexte historique qu’offre les changements en cours dans la région, les peuples aspirent à une participation plus importante à la vie politique avec plus de voix et de meilleures opportunités économiques tant au niveau central qu’au niveau régional et local. Passer d’un gouvernement centralisé qui s’accapare le pouvoir et les ressources à celui qui partage avec les communautés locales est un des piliers de la transition politique pour répondre aux aspirations de la population. Toutefois, la décentralisation n’est pas une réponse magique à tout; elle a besoin d’être soigneusement conçue et mise en place. La décentralisation peut produire des problèmes de coordination, augmenter les coûts administratifs ou subir les effets négatifs d’un manque de professionnalisme des bureaucrates et représentants locaux. La décentralisation sans garde-fous risque aussi de créer davantage de corruption et de népotisme et de miner les gains potentiels de ce mode alternatif de gouvernance.

Les pays du sud de la méditerranée ont des administrations plus centralisées en comparaison avec d’autres pays émergents et en voie de développement. Les régimes autocratiques qui ont gouverné depuis que les pays ont obtenu leur indépendance n’ont pas favorisé le partage du pouvoir et a inhibé la participation politique efficace. Les trois pays (Egypte, Maroc et Tunisie) sont des états unitaires avec de multiples niveaux d’administration territoriale. Le système de gouvernance dans ces pays s’apparente davantage à une forme déconcentration et pas un transfert du pouvoir central vers des collectivités locales. Les trois pays sont dotés d’un système bicéphale d’autorité élue et nommée à chaque niveau de l’administration territoriale.

Avant l’effondrement de régime de Moubarak en Egypte, le Parti National Démocratique (NDP) dominait les conseils populaires locaux. Des anciens officiers de l’armée ont souvent été nommés à la tête de Conseils Exécutifs Locaux (LEC). En Tunisie, avant la révolution, le parti de Ben Ali (RCD) a joué un rôle important dans la politique locale. L’absence de perspective financière et de carrière dans l’administration n’a pas attiré des individus qualifiés et intègres. Au Maroc, la fragmentation du paysage politique et le mode d’élection au niveau local n’ont pas permis l’émergence de majorité fortes et stables au sein des conseils élus et limité les gains potentiels de la décentralisation.

L’éventail d’activités dévolues à l’administration territoriale semble être plus large au Maroc et en Tunisie qu’en Egypte. La décentralisation dans les trois pays est handicapée par les ressources financière limitées de l’administration territoriale. De plus l’essentiel du budget est alloué au paiement des salaires et autres dépenses courantes.

Les trois pays ont de faibles revenus locaux en raison de la décentralisation fiscale limitée. Les entités locales dans les trois pays dépendent excessivement des transferts du gouvernement. Malgré la multitude de critères sophistiqués utilisés, la répartition des transferts entre les différentes collectivités locales est contestée et ne semble pas répondre aux objectifs annoncés.

Le projet de recherche a été une opportunité pour sensibiliser les politiques sur le rôle fondamental de la disponibilité de données détaillées et précises au niveau territorial dans les domaines économiques et financiers. Le projet –à notre connaissance– est la première tentative empirique d’évaluer l’impact spécifique de la décentralisation sur certains indicateurs économiques et sociaux dans les pays du sud de la méditerranée. Le manque de données disponibles a limité l’étendue de l’exercice économétrique. A cette étape, la conclusion clé de notre partie empirique que le modèle de décentralisation comme il a été adopté dans les pays examinés ne semble avoir d’effet significatif ni sur les taux de chômage régionaux ni sur la localisation des entreprises.

Les soulèvements arabes ont donné lieu à une plus grande liberté d’expression des peuples y compris dans les régions excentriques d’habitude marginalisées par la politique nationale. Le débat politique naissant de la transition vers la démocratie dans le sud de la Méditerranée devrait mener à une ère nouvelle dans les relations entre l’état central et les territoires. Des recherches plus approfondies doivent être menées afin de déterminer, pour chaque pays, la combinaison adéquate entre les incitations à offrir en vue d’une meilleure prestation de service par le biais de la décentralisation politique et fiscale, et la place de la solidarité nationale a travers les transferts de l’Etat afin de réduire les disparités régionales.

Pourquoi les médecins du Moyen-Orient, du Maghreb et des pays de l’Est émigrent vers l’Europe?

Medecin-euromed2bSyriens, Libanais, Marocains, Roumains… Qui sont ces médecins qui décident de plier bagages et d’exercer en Europe ? Quelles sont leurs motivations ? Comment les pays qui assistent à cette fuite des cerveaux peuvent-ils tirer parti de cette expatriation ? FEMISE apporte des réponses à ces questions dans un rapport de recherche qui vient d’être publié sur le site FEMISE (FEM34-07).

L’attrait d’une vie meilleure, de conditions de vie satisfaisantes, d’un bon salaire, un système éducatif évolué, la proximité avec le pays d’origine… Autant de paramètres pouvant motiver des médecins du Moyen-Orient, du Maghreb et des pays de l’Est à exercer la médecine en Europe. « Les candidats au départ sont attirés par les avantages relatifs offerts par les pays de l’Union Européenne. Gagner plus leur permet d’être à l’aise et de vivre mieux. Il faut également considérer les avantages non pécuniaires, la possibilité d’évoluer professionnellement et de faire carrière », souligne Ahmed Driouchi, Professeur d’Economie à l’université Al Akhawayn, à Ifrane, au Maroc, auteur du rapport Femise.

Intitulée « Qu’apprenons nous de la nouvelle économie de l’émigration des docteurs en médecine vers l’UE : Les cas d’Europe centrale et d’Europe de l’Est, du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord », l’étude du Femise pointe du doigt une émigration à deux vitesses.

Les médecins issus du Moyen-Orient et du Maghreb ne bénéficient pas souvent d’un système d’équivalence. A leur arrivée en Europe, ils pourraient occuper des postes de moindre importance en attendant de passer les équivalences et les tests d’admission. L’entrée dans l’Union Européenne des pays de l’Est entre 2002 et 2007 a accru le champ de la mobilité en garantissant la portabilité des qualifications des professions de santé. Cette reconnaissance des diplômes de médecins, dentistes, infirmiers et autres professions de santé favorise l’émigration.

Des médecins dans les régions françaises

C’est ainsi que des médecins Roumains s’installent dans la plupart des régions françaises. Bien souvent les médecins issus des pays francophones optent pour la France ou la Belgique. Leurs homologues anglophones sont davantage attirés par la Grande-Bretagne. Après une période d’adaptation, leurs capacités intellectuelles leur permettent de s’intégrer.

Les taux d’émigration des médecins sont très élevés au Liban (19,6%) et en Syrie (17,5%). En Jordanie ils atteignent 9,9%, en Algérie 7,1%, au Maroc 6,6% et en Égypte 5,6%. Le Maroc a d’ailleurs fait l’objet d’une étude approfondie. Les chercheurs du Femise expliquent, au fil des 400 pages de l’étude, qu’il existe pour chaque pays un seuil de migration à ne pas dépasser pour éviter l’écueil de la fuite des cerveaux.

« Nous avons questionné les médecins marocains qui avaient choisi de rester dans leur pays. L’étude confirme des variables comportementales. Tout dépend de la situation personnelle des individus et de leur stratégie. Le modèle empirique démontre les avantages relatifs par les pays de destination», conclut le professeur Ahmed Driouchi.

Illustration Femise

Article de Nathalie Bureau du Colombier, Econostrum. L’article fait partie d’une série d’articles conjoints réalisés dans le cadre d’un partenariat entre Femise et Econostrum pour l’année 2012, qui alimentent également la rubrique « Grand Angle»  du site d’information Econostrum. Vous pouvez retrouver cette rubrique et toutes les informations à l’adresse suivante: www.econostrum.info. L’inscription à la newsletter d’econostrum est accessible par: http://www.econostrum.info/subscription/

La jeunesse, clé de la Méditerranée

diplomés d'Euromed Management MarrakechYusuf Kocoglu, Maître de Conférences au Laboratoire d’économie appliquée au développement (LEAD), à l’Université du Sud Toulon-Var a contribué à la rédaction du rapport annuel 2011 sur le partenariat Euro-Méditerranéen du Femise. Dans le document intitulé « Une nouvelle région méditerranéenne : vers la réalisation d’une transition fondamentale », il analyse les difficultés de l’emploi des jeunes dans les pays du bassin Méditerranéen.

Quelle place occupent les jeunes dans la société dans les pays de la région MENA ?

Pas très importante comparée à leur poids démographique. Les pays MENA ont une structure sociale très patriarcale qui laisse peu de place aux nouvelles générations. La progression sociale y est lente (hormis quelques passes droits). Les dirigeants ont néanmoins compris à la suite des mouvements du printemps arabe qu’il était nécessaire de donner plus de place, sur le plan économique, mais aussi politique à la jeunesse.

La révolution provenant de la jeunesse, pensez-vous qu’ils aient une place dans les gouvernances qui sont en train de se mettre en place peu à peu dans les différents pays du bassin Méditerranéen ?

Il semble très difficile de dire quelle place va occuper la jeunesse qui a été le moteur de ces révoltes. Les élections en Tunisie n’ont pas débouché sur un bouleversement radical pour la jeunesse hormis quelques postes pour les meneurs. Les mouvements actuels en Égypte montrent que le changement a du mal à se faire. Un premier pas a néanmoins été effectué au Maroc avec une participation importante des jeunes aux élections du 25 novembre (un quart des candidats a moins de 35 ans) et l’entrée prévue par quotas au parlement des moins de 40 ans.

Repenser le système de formation à l’université

Quelles sont les pistes pour réduire le chômage chez les 20-25 ans et en particulier l’exclusion sociale des diplômés ?

Comme indiqué dans le rapport annuel du Femise, cette question nécessite des mesures systémiques et de longs termes. Il faut revoir à la fois le système productif pour monter en gamme dans la chaine de production et ainsi susciter une demande de travailleur plus qualifiés. Car l’un des problèmes majeurs de ces pays reste la faible demande d’emplois qualifiés par le secteur privé. Il faut également repenser le système de formation à l’université pour l’orienter plus vers les besoins des entreprises, valoriser les formations courtes et professionnelles, revoir le système de financement des micro-entreprises, etc.

S’agissant des non qualifiés vous évoquez dans le rapport annuel l’école de la deuxième chance. Quel en serait le principe ?

Les jeunes qui quittent le système de formation sans diplôme connaissent d’importantes difficultés d’insertion. Les écoles de la deuxième chance dont le concept a été proposé dans le Livre blanc européen « Enseigner et apprendre, vers la société cognitive » ciblent ces jeunes adultes sortis du système scolaire sans diplôme.

Il s’agit, à travers un espace commun regroupant un pôle de formation, un pôle d’entreprises et pôle social, de permettre à ces jeunes de se remettre à niveau sur les connaissances de base de la scolarité obligatoire et de les aider à développer un projet professionnel correspondant à leurs capacités. Les entreprises partenaires leur offrent des expériences via des stages ou des formations en alternance et le pôle social gère leurs problèmes sociaux. En France 30 écoles fonctionnent sur 100 sites avec 60% de succès en recherches d’emplois et reprises de formations qualifiantes.

Quelle est votre analyse des systèmes éducatifs et universitaires ? Vous semblent-t-ils inadaptés aux besoins des entreprises ?

Le système universitaire en particulier est resté trop figé et n’a pas suivi l’évolution rapide de l’environnement économique des pays MENA. La massification des formations universitaires ne pouvait plus cadrer avec le modèle qui formait des fonctionnaires d’État, en particulier depuis la décennie 1990 et l’instauration de politiques publiques visant à réduire ou du moins contrôler le poids du secteur public dans l’économie. La qualité de la formation universitaire est également un enjeu important dans la mesure où les chefs d’entreprises n’accordent que peu de crédit à la valeur des diplômes universitaires.

La jeunesse n’a-t-elle pas un rôle central dans le cadre de l’économie de la connaissance ?

Nous voulions justement souligner avec ce rapport Femise le rôle primordial de la jeunesse pour accéder à l’économie de la connaissance et faire monter en gamme la production nationale. Cependant, il faut que cette jeunesse soit convaincue que faire des études débouchera bien sur un emploi de qualité avec des perspectives d’évolution positives. La politique doit rendre crédible cette perspective en favorisant l’insertion des jeunes diplômés et nous retombons sur les questions relatives aux développements des secteurs à forte valeur ajoutée.

Pourriez-vous nous dire quelques mots du cas de la Turquie ?

Il s’agit d’un cas un peu à part dans la mesure où la production économique est plus diversifiée que dans les pays du sud de la méditerranée avec des secteurs dynamiques qui emploient des cadres moyens.

De plus, le système éducatif est jalonné de sélections. Dès la sortie du collège, les élèves passent des tests dont les résultats vont leur donner ou non l’accès aux lycées les plus prestigieux. Il en va de même pour l’entrée à l’université.

La sélection ainsi opérée limite le problème d’orientation massive dans quelques filières comme dans les pays du Maghreb par exemple. En revanche, le système turc produit d’importantes inégalités dans l’accès à l’éducation, les jeunes qui réussissent le mieux sont issus des familles les plus riches qui ont notamment pu financer des cours complémentaires privés.

Télécharger le rapport annuel du FEMISE

Photo Econostrum-MPV

Article de Nathalie Bureau du Colombier, Econostrum. L’article fait partie d’une série d’articles conjoints réalisés dans le cadre d’un partenariat entre Femise et Econostrum pour l’année 2011, qui alimentent également la rubrique « Grand Angle»  du site d’information Econostrum. Vous pouvez retrouver cette rubrique et toutes les informations à l’adresse suivante:www.econostrum.info. L’inscription à la newsletter d’econostrum est accessible par: http://www.econostrum.info/subscription/

Trop chères et mal ciblées, les subventions égyptiennes à la nourriture sont peu efficaces

Réflexions méditerranéennes

Après des décennies de stabilité ou de baisse, la tendance des prix des denrées alimentaires est à la hausse avec un pic entre 2006 et 2008 qui a généré de lourds problèmes dans de nombreux pays. Une étude réalisée sous l’égide du Femise, montre les limites des dispositifs de subventions existants en Egypte, et leur nécessaire réforme pour en réduire les coûts et mieux cibler les ménages les plus pauvres.

Avril 2008, des émeutes de la faim éclatent dans plusieurs pays du monde. A Haïti, au Burkina Faso, en Mauritanie ou encore en Egypte, les populations les plus pauvres manifestent, souvent violemment, contre la hausse des prix alimentaires. Entre 2006 et mi 2008, les prix ont flambé : 80% de hausse sur les produits laitiers et 42% sur les céréales pour la seule année 2007). En Egypte par  exemple, les dépenses de base des ménages ont augmenté de 50% entre janvier et avril 2008 (selon le Programme alimentaire mondial). Pour les plus bas revenus, la situation devenait insupportable.

Pourtant l’Egypte a décidé depuis déjà de nombreuses années de subventionner plusieurs produits et services. Alors que le pays importe au moins la moitié de sa consommation et que la nourriture représente plus de 15% de toutes ses importations, le gouvernement a instauré une subvention universelle pour le pain « baladi », sans restriction de quotas, et des cartes de rationnement mensuel destinées à certains foyers éligibles.

Des aides coûteuses

Mais les problèmes de 2008, dus à la conjugaison de plusieurs facteurs, structurels et conjoncturels  – pétrole cher, hausse de la consommation de viande en Asie, réorientation de parcelles vers la production de biocarburants, climat déréglé et spéculations – ont permis de mettre en évidence les limites de ces dispositifs d’aide.

Pour les chercheurs du Center for Social and Economic Research (CASE) et du Centre Egyptien pour les études économiques (ECES), dans une étude réalisée sous l’égide du Femise (FEM33-14) le dispositif égyptien est non seulement très coûteux mais aussi très peu efficace pour les populations les plus pauvres. Ainsi la hausse des prix des produits alimentaires de 2006-2008 a presque doublé le budget des subventions qui est passé de 1,3% du PIB en 2006-2007 à 2,1% du PIB en 2008-2009. Une situation intenable si les prix alimentaires restent élevés. En outre, faute de bien cibler les subventions alimentaires, la majorité des aides actuelles va aux foyers relativement riches et entre un quart et un tiers des populations pauvres n’en bénéficient pas.

Transferts directs plutôt que subventions

D’où l’idée de trouver de nouvelles réponses politiques en analysant les répercussions de telle ou telle mesure. Selon les projections des chercheurs, la baisse ou la suppression des droits de douane semble pouvoir améliorer légèrement la situation des plus pauvres. Mais le plus important pour eux est de réformer le système actuel des subventions en les remplaçant par des transferts d’argent aux ménages les plus pauvres. Ils suggèrent aussi d’instaurer un  soutien direct aux agriculteurs afin de permettre à ces derniers de mieux gérer les fluctuations mondiales des prix des denrées alimentaires. Les idées sont là, mais la réforme ne semble pas encore à l’ordre du jour.

Les investisseurs internationaux ont tendance à privilégier les territoires dans lesquels l’investissement local est déjà élevé, montre une étude du Femise. Or dans les pays du Sud de la Méditerranée, l’investissement intérieur reste faible. L’explication est à chercher du côté de la qualité institutionnelle.

Dans les pays du Sud de la Méditerrané les investissements directs étrangers (IDE) restent faibles. Pour l’expliquer, des chercheurs de l’université Paris-XII, du Centre d’économie de Paris-Nord (CEPN), du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), du Centre de recherche en économie appliquée au développement (CREAD) à Alger et de la Faculté de sciences économiques et de gestion El Manar à Tunis se sont penchés sur l’articulation des IDE avec l’investissement intérieur privé, dans une étude réalisée sous l’égide du Femise (à paraître).

Les investisseurs internationaux ont tendance à privilégier les territoires dans lesquels l’investissement local est déjà élevé, affirment les chercheurs. S’appuyant sur un modèle économétrique portant sur 68 PED (pays émergents et en développement), ils constatent que la dynamique de l’investissement intérieur exerce « un effet d’entraînement significatif et particulièrement robuste sur les IDE », au même titre que le risque pays et le stock d’IDE existant. Les investisseurs étrangers recherchent en effet le même environnement que celui qui a entraîné les investissements locaux, « celui qui offre des perspectives de croissance et de profit suffisantes ».

La qualité institutionnelle accroit l’investissement domestique

D’où l’idée de privilégier les politiques de stimulation de l’investissement intérieur, qui reste relativement faible dans les pays du Sud de la Méditerranée. Les chercheurs expliquent cette situation par l’influence des facteurs institutionnels. Selon eux, une meilleure qualité institutionnelle engendre plus d’investissement domestique, de croissance et de stabilité économique.

L’étude cite l’exemple de l’Algérie qui, malgré sa rente pétrolière, reste pénalisée dans sa croissance par le retard pris par les réformes des institutions et son « climat des affaires « . A l’inverse, en Tunisie, pays caractérisé par « la stabilité politique et sociale, les performances économiques et l’amélioration de l’environnement des affaires », les IDE représentent 10 % des investissements productifs, génèrent le tiers des exportations et engendrent de 15% des emplois.

« Pour résumer, un pays plus consensuel, ayant une meilleure gouvernance publique, faiblement corrompu, plus ouvert internationalement et ayant des institutions financières développées, sera, toutes choses égales par ailleurs, un pays avec un investissement national élevé », conclue l’étude.

Reste à savoir quelles institutions devraient être aménagées pour favoriser, encore plus, l’investissement domestique dans les pays émergents et en développement. L’étude laisse la question ouverte.

Article de Marie-Pierre Vega, Econostrum. L’article fait partie d’une série d’articles conjoints réalisés dans le cadre d’un partenariat entre Femise et Econostrum pour l’année 2010, qui alimenteront également la rubrique « Réflexion Méditerranéenne » du site d’information Econostrum. Vous pouvez retrouver cette rubrique et toutes les informations à l’adresse suivante : www.econostrum.info. L’inscription à la newsletter d’econostrum est accessible par : http://www.econostrum.info/subscription/