Libéralisation des services en Pologne et en Turquie: Une analyse comparative

FEM32-02 | Juin 2009

Titre

« Liberalization of services in Poland and Turkey: A comparative analysis »

Par

Subidey Togan, Bilkent University, Centre for International Economics, Ankara, Turkey; Jan Michalek, Warsaw University, Poland.

Contributeurs

Andżelika Kuźnar, Warsaw School of Economics, Poland; Can Şımga Mugan, Middle East Technical University, Turkey, Katarzyna Kowalska, Warsaw University, Poland; Jan Hagemejer, University of Warsaw, Poland; Tomasz Michalek, University of Warsaw, Poland;  Aleksandra Zieminska, University of Warsaw, Poland; Katarzyna Smiala, University of Warsaw, Poland; Sare Arıcanlı, Turkey

Note :

Ce rapport a été réalisé avec le soutien financier de l'Union Européenne au travers du Femise. Le contenu du rapport relève de la seule responsabilité des auteurs et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant l'opinion de l'Union Européenne.

Résumé :

Ce projet concerne la libéralisation des services. Bien que les propositions concernant les gains issus d’un commerce plus libre s’appliquent à la fois aux biens et services, la libéralisation des services diffère de la libéralisation du commerce des marchandises. Dans le commerce des biens, la plupart des discussions sur la libéralisation se focalise sur l’élimination de tarifs et de barrières non-tarifaires. D’autre part, les barrières au commerce des services sont typiquement de nature réglementaire, et les pays montrent souvent peu d’intérêt aux régimes réglementaires des autres pays ou ont peu de confiance dans leur qualité. Ainsi, la libéralisation des services dans un pays spécifique requiert l’alignement de régimes réglementaires dans différents secteurs de services.

En principe, les pays peuvent choisir de libéraliser les marchés de services unilatéralement en adoptant et implémentant des normes internationales tels « le Traité de la Charte d’Energie »,  «les Principes Fondamentaux de Bâle », « l’Accord de Base sur les Télécommunications », et « les Normes Comptables Internationales ». Ainsi, les pays espèrent de profiter de gains d’efficacité. Mais malheureusement un pays ne peut à lui seul obtenir un meilleur accès auprès des larges marchés étrangers tel le marché des services de l’Union Européenne (UE). Dans ce contexte, des engagements multilatéraux à travers des négociations sous l’égide de l’Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS) de l’Organisme Mondial du Commerce (OMC) pourraient s’avérer utiles. Mais pour que les négociations multilatérales puissent porter leurs fruits, les différents pays doivent faire part de reconnaissance de leurs intérêts mutuels dans un processus de libéralisation réciproque. Reconnaitre ces gains mutuels potentiels permettra de faire des « concessions » réciproques qui profiteront à toutes les parties. Dans un tel cas, l’adoption des règles de l’OMC pourrait mener non seulement à des gains d’efficacité mais aussi à un meilleur accès aux larges marchés étrangers.

L’accomplissement de la libéralisation multilatérale de services semble être possible à long-terme. Mais la libéralisation des services à travers des accords régionaux pourrait pour l’essentiel se faire même à court terme. La Politique de Voisinage de l’Union Européenne (PVE) se pose comme exemple d’un accord commercial régional. La PVE se présente comme une opportunité d’approfondissement de l’intégration des marchés des pays voisins du Sud et de l’Est de l’UE avec l’UE et comme une opportunité d’augmentation de leur participation dans les réseaux globaux de production. La perspective de participation progressive dans le Marché Interne et l’aspect le plus étendu de la PEV. Pour obtenir le libre commerce des services les pays voisins de l’UE sont attendus à adopter et implémenter les règles et réglementations de la Communauté Européenne (CE) dans les secteurs de services spécifiques. Notons que dans l’UE les services sont généralement classifiés en tant que commercialisables et non-commercialisables. Les services commercialisables sont divisés davantage entre « réglementés » et « non-réglementés ». Parmi les services réglementés nous avons les « secteurs clé » d’infrastructure tels les services de réseaux, financiers et de transport maritime.

Ceux-ci sont tous des secteurs réglementés par des directives spécifiques de la CE. D’autre part les services professionnels tels la comptabilité, les services juridiques et d’ingénierie sont réglementés mais ne sont pas couverts par la Directive sur les Services de la Commission Européenne (DS) 2006/123/EC. Enfin, les services tels le tourisme et le commerce en gros sont des secteurs non-réglementés également couverts par la DS.

Les considérations ci-dessus révèlent que la libéralisation des services dans n’importe quel pays constitue une tache difficile. Elle implique la réduction de barrières réglementaires à l’accès aux marchés et au traitement national discriminatoire à travers les quatre modes de fourniture. L’objectif de la libéralisation des services est de s’assurer que les réglementations existantes ne discriminent pas envers la participation étrangère dans les marchés des pays domestiques et étrangers. Le transfert vers un régime réglementaire non-discriminatoire peut nécessiter des changements significatifs dans la réglementation de secteurs de services spécifiques dans certains pays.

Afin de mieux souligner les difficultés dans la libéralisation des services prenons le cas d’une firme Turque de camionnage qui a l’intention de faire du transport de fret vers l’UE, ainsi que le cas d’une firme Allemande de camionnage qui souhaite faire de même vers la Turquie. Ces services seront libéralisés si (i) il n’y a pas de restrictions sur les camions Turcs et Allemands pour le transport de fret entre les deux pays, (ii) il n’y a aucune restriction sur les camions Turcs et Allemands pour le transport de fret entre n’importe quels deux points à l’intérieur de l’UE et la Turquie respectivement, (iii) il n’y a pas de restrictions sur l’implantation et l’opération de firmes de camionnage Turques et Allemandes à l’intérieur de l’UE et de la Turquie respectivement, (iv) il n’y a pas de restrictions sur des fournisseurs Turcs et Allemands de services de transport de fret routier ou des employés des firmes respectives à la libre circulation, pour des périodes relativement courtes (mouvement temporaire) à l’intérieur de l’UE et de la Turquie respectivement. Ainsi, en contexte de libéralisation la Turquie et l’Allemagne pourront tous deux adopter des lois qui ne discriminent pas entre firmes domestiques (ou intra-EU dans le cas de l’Allemagne) et étrangères (ou extra-EU) qui opèrent dans des pays respectifs et qui reconnaissent mutuellement toutes les licences et certificats nécessaires. Une telle situation permettrait une concurrence efficace, une meilleure exploitation des économies d’échelle, une augmentation des bénéfices issus des externalités de réseau et des prix à la consommation plus bas. Notons ici que l’Allemagne et la Turquie ont introduit dans le temps toute sorte de règles et réglementations sur l’accès au marché, la concurrence, les prix, les conditions fiscales, sociales et techniques ainsi que la sécurité dans leurs secteurs de transport routier de fret. Les règles et réglementations Allemandes sont généralement plus strictes que celles qui prévalent en Turquie. L’Allemagne n’est globalement pas intéressée par la perspective de relâcher ses règles et réglementations. Cette dernière attend de la part des firmes Turques de camionnage de se plier aux règles strictes qui sont présentes en Allemagne. De ce fait la libéralisation des services de transport routier entre les deux pays peut s’achever uniquement si la Turquie adopte les règles et réglementations Allemandes dans le secteur de transport routier, et applique ces règles à l’intérieur de la Turquie.

Cette étude prend en compte cinq types de services, il s’agit de la comptabilité, la santé, le transport aérien, le transport ferroviaire et les services de transport de fret routier. L’étude analyse la libéralisation de chaque secteur de service dans un chapitre distinct, et chaque chapitre  commence en prenant en considération les principales caractéristiques du secteur de service particulier. Nous étudions comment la libéralisation des services dans les secteurs en question peut s’exécuter en poursuivant une approche unilatérale ainsi qu’une approche régionale.

Dans le cas de l’approche régionale nous nous concentrons sur les cas de la Pologne, Etat Membre de l’UE, et de la Turquie, pays candidat à l’accession de l’UE. Nous espérons que les expériences de la Pologne et de la Turquie et l’approche à la libéralisation des services adoptée par ces pays pourrait servir comme un model utile à d’autres pays de l’UE, ou la libéralisation des biens et services est à l’ordre du jour. Ainsi, nous étudions dans une deuxième section de chaque chapitre les règles et réglementations internationales et en troisième section le régime réglementaire de l’UE dans le secteur de service respectif. Les quatrièmes et cinquièmes sections de chaque chapitre analysent le cadre réglementaire en Turquie et en Pologne respectivement. Enfin, âpres ces cinq chapitres sur la libéralisation des différents secteurs de services nous estimons les effets de la libéralisation des services dans le sixième et dernier chapitre de cette étude. Dans ce sixième chapitre nous tentons en premier lieu de déterminer les équivalents tarifaires des barrières au commerce dans les secteurs de service spécifiques en Pologne et en Turquie respectivement, et par ailleurs utilisant des équivalents tarifaires nous estimons quant cela est possible les effets de la libéralisation dans les secteurs de services respectifs.

Dans le secteur de comptabilité, une comparaison entre les normes de comptabilité dans un grand nombre de pays révèle que des différences entre normes subsistent toujours. Tandis que le commerce, l’investissement et les capitaux affluent librement de pays en pays, les différences en principes comptables constituent des obstacles à ces flux et contribuent à une allocation des ressources sous-optimale étant donné que les décisions d’allocation des ressources se basent en grande partie sur l’information comptable. Une caractéristique de base du secteur comptable est attribuée au fait que le secteur est l’un des plus réglementés mondialement. Comme le souligne la littérature, les objectifs principaux des régulateurs dans le secteur comptable sont la protection du public et la promotion de la qualité de service, et ces objectifs ont été poursuivis à travers des réglementations de plus en plus détaillées ou des normes sur la majorité des aspects de la profession comptable  et de son exercice. Etant donné que la plupart de ces réglementations et normes restent nationales et ne différent pas significativement à travers les pays, cette variabilité n’est pas créatrice d’un contexte favorable à la mobilité accrue des services et des personnes à travers les frontières. Une analyse comparative des indices de restriction en comptabilité révèle que les marchés les plus libéraux sont la Finlande et les Pays-Bas. Ces économies maintiennent peu de mesures restrictives qui affectent les fournisseurs étrangers de services professionnels. Tandis que la Pologne maintient un niveau de barrières intermédiaire, la Turquie fait partie des marchés les plus restreints pour les services de comptabilité. Le pays impose un certain nombre de barrières, notamment des exigences en matière de nationalité et de résidence, et des barrières sur le type de présence commerciale et des investissements directs étrangers.

Les services de santé ont longuement été considérés comme non commercialisables à travers les frontières. Le niveau de libéralisation des services de santé dans l’AGCS est minime. Mais l’ampleur de la libéralisation des services médicaux parmi les membres de l’UE reste très faible également. La libéralisation immédiate jointe à des réglementations plus homogènes semble peu probable étant donné que les services médicaux sont exclus de la Directive sur les Services. De façon similaire, l’ampleur de la discrimination envers les fournisseurs étrangers de services médicaux reste élevée. Avec le principe de subsidiarité, l’UE vise uniquement à améliorer la sécurité sanitaire de ses citoyens, à promouvoir la santé ainsi qu’à générer et disséminer les connaissances et informations sur le sujet. Pour comparer les politiques de santé, les services aux consommateurs et les résultats de qualité des pays membres de l’UE nous avons utilisé « l’Index du Consommateur de Santé Européen » (EHCI). Le EHCI saisi les propriétés de différents systèmes de santé perçues du point de vue du consommateur, représentant ainsi une mesure pour l’estimation des différences d’efficacité des systèmes nationaux. La Pologne, parmi les pays de l’UE, a l’un des résultats EHCI les plus bas. D’âpres notre analyse économétrique la variable principale expliquant le niveau de l’indice EHCI est le niveau et pourcentage des dépenses de santé par rapport au PIB du pays. Etant donné que autant la Pologne que la Turquie dépensent une très petite fraction de leurs revenus (6,2 et 5,7 pourcent respectivement, avec 8,9 pourcent de moyenne parmi les pays de l’OCDE) sur des services de santé, la qualité de ces services relativement protectionnistes et non-commercialisables reste faible dans les deux pays.

Le secteur de transport aérien, dû à la complexité du réseau global de services interconnectés, a longuement été perçu comme un monopole naturel et a été lourdement réglementé et protégé. Le processus de libéralisation des marchés de transport aérien a commencé en Europe vers la fin des années 1980 avec les trois paquets de libéralisation de l’UE. Le marché de services de transport aérien en Europe a été complètement remodelé afin d’offrir une concurrence plus serré, une utilisation plus efficace de l’infrastructure et plus de bénéfices aux consommateurs. La Pologne, en implémentant des directives de l’UE appropriées, a significativement libéralisé son marché de transport aérien. Selon l’Index de Libéralisation Aérienne utilisé dans cette étude la Pologne est classée parmi vingt des marchés de transport aérien les plus libéraux, sur les 184 pays étudiés. La Turquie, en dépit d’une libéralisation significative, se retrouve en retard, se trouvant quelque part au milieu de l’échelle de classement. L’analyse économétrique qui a été accomplie dans le dernier chapitre montre que les premier et troisièmes paquets de libéralisation de l’UE ont causé l’augmentation du trafic passager de 18,7% et 20,6% respectivement.

L’industrie ferroviaire dans un grand nombre de pays se trouvait historiquement entre les mains d’operateurs verticalement intégrés, généralement appartenant au secteur public. Le déclin de la part du transport ferroviaire de biens et passagers, aux dépens du transport routier est visible, au moins depuis les années 1970. Des inquiétudes quant à la performance du secteur ont conduit à un nombre de reformes pendant la fin des années 1990 dans l’Union Européenne (trios parquets de libéralisation jusqu’a 2007). Le progrès global de libéralisation d’accès au marché dans les pays de l’UE est mesuré par l’indice LIB élaboré à travers une collaboration entre l’Université de Humboldt et les Services de Consulting d’IBM. Après l’implantation de toutes les directives de l’UE, la Pologne a selon l’indice LIB un régime relativement libéral d’accès au marché aux services ferroviaires en termes de frais et autres barrières. L’analyse empirique dans le dernier chapitre montre un impact positif du développement de l’infrastructure ferroviaire sur le niveau des importations de trafic ferroviaire de cargaison et similairement une corrélation positive entre le niveau de commerce de biens et la demande de services ferroviaires. De plus, l’analyse indique que deux des trois paquets de libéralisation ferroviaire de l’UE, ont eu un impact statistiquement significatif et positif sur les services de cargaison en Europe. Cependant, en Pologne les effets sur le niveau de la fourniture de service ne ce sont pas encore réalisés.

La provision de services de transport routier se base considérablement sur l’inter-connectivité du réseau national routier, sur le droit d’opérer dans différents pays, et sur des réglementations uniformes. Une telle situation permet de tirer profit des externalités de réseau positives tout en permettant une concurrence internationale qui assure des politiques de tarification efficaces. Les gouvernements ont réalisé il y a longtemps que les organismes internationaux tels la Conférence Européenne des Ministères de Transport offrent des cadres réglementaires pour la provision de services de réseau. L’UE a mis en place des réglementations qui couvrent l’ensemble de l’UE et qui offrent des règles de commerce intra-UE de services de transport routier. La recherche de convergence active avec les règles et réglementation dans le secteur de transport routier de fret de l’UE est une nécessité pour la Pologne. Actuellement, la Turquie est dans le processus d’adoption et implémentation du cadre législatif, réglementaire et institutionnel de l’UE dans le secteur de transport routier de fret. En changeant son régime réglementaire le pays cherche à augmenter la concurrence dans le secteur, améliorer l’infrastructure et baisser le prix des services offerts. Il est démontré que la Turquie a un marché de transport routier relativement compétitif comparé à l’UE et la Pologne, cependant le degré de discrimination envers la présence étrangère reste élevé.