Inclusion financière et stabilité dans la région MED (rapport FEM44-01)

FEM44-01 | Septembre 2019

Titre

« Financial Inclusion and Stability in the MED Region: Evidence from Poverty and Inequality (report FEM44-01) »

Par

Simon Neaime; Thomas Lagoarde-Segot; Isabelle Gaysset

Contributeurs

Institute of Financial Economics, American University of Beirut (Lebanon); Aix-Marseille School of Economics (France); Kedge Business School (France)

Note :

This document has been produced with the financial assistance of the European Union within the context of the EU-FEMISE project “Support to economic research, studies and dialogue of the Euro-Mediterranean Partnership”.. The contents of this document are the sole responsibility of the authors and can under no circumstances be regarded as reflecting the position of the European Union.

Résumé :

Malgré une croissance significative de la rentabilité et de l’efficacité, le système bancaire bien établi du Moyen Orient (MED) semble incapable de couvrir de vastes segments de la population, notamment les groupes les plus défavorisés. Pour ce faire, il incombe aux responsables politiques de la région de créer de réelles opportunités pour l’inclusion financière, afin de réduire la pauvreté et les inégalités de revenu. La question empirique de ce projet de recherche est de savoir si les pays MED sont parvenus à atteindre cet objectif. Ce papier évalue empiriquement l’impact de l’inclusion financière sur l’inégalité de revenu, la pauvreté et la stabilité financière dans la région MED, en utilisant des modèles économétriques GMM et GLS sur un échantillon de six pays (Algérie, Egypte, Jordanie, Liban, Maroc et Tunisie). La littérature empirique sur le sujet et pour cette région est assez restreinte. Ce papier contribue donc à cette littérature en comblant un manque important, tout particulièrement à la suite des récentes crises, financière et de la dette, et des récents troubles politiques, sociaux et militaires qui ont frappé plusieurs pays MED.

Nos résultats empiriques montrent que l’inclusion financière réduit les inégalités mais n’a pas d’impact significatif sur la pauvreté. D’autre part, l’inflation et la taille de la population augmentent à la fois les inégalités et la pauvreté. D’autres résultats indiquent que le taux d’enrôlement dans le secondaire, le taux de participation des femmes au marché du travail et l’ouverture aux échanges contribuent significativement à la réduction de la pauvreté. Nous trouvons également qu’une intégration financière renforcée est un facteur aggravant de l’instabilité financière, quand l’accélération de l’inclusion financière et l’accroissement de la population contribuent positivement à la stabilité financière. Cette étude a également établi qu’un meilleur accès aux services financiers contribue positivement à la résilience du système bancaire ayant comme base de financement les dépôts. Ceci est particulièrement important en périodes de crises financières. L’amélioration de la capacité de résilience du financement bancaire participe à la stabilité générale du secteur bancaire et au soutien de l’ensemble du système financier. Comme l’ont montré les récentes crises, de la dette et financière, la libéralisation et l’inclusion dans la région MED ne conduisent pas toujours à la réduction de la pauvreté et à l’amélioration de la stabilité financière. Nos résultats empiriques ont d’importantes implications politiques. Les responsables politiques devront trouver un compromis et décider s’ils souhaitent opter pour des réformes qui encouragent le développement financier (inclusion financière, innovation, accès aux services financiers, etc…) ou s’ils préfèrent mettre l’accent sur de nouvelles améliorations dans le domaine de la stabilité financière. Toutefois, des synergies entre la promotion du développement financier, l’inclusion et la stabilité financière peuvent exister. Les résultats de cette étude pourraient favoriser la mise en œuvre d’une meilleure politique de réforme du secteur financier en démontrant combien l’accroissement de l’utilisation du système bancaire peut avoir un impact direct sur la répartition des revenus.

Les tentatives récentes et insuffisamment coordonnées de libéralisation ont rendu les secteurs financier et bancaire MED plus vulnérables aux récentes crises de la dette et financière. En particulier, les tentatives précipitées de libéralisation et d’intégration financière des marchés financiers égyptien, jordanien et marocain avec des marchés américains et européens plus matures ont eu des conséquences désastreuses sur leurs secteurs bancaires et leurs marchés boursiers. Pour décider s’il convient de se concentrer sur des réformes de promotion du développement financier (inclusion financière, innovation, accès aux services financiers, etc…) et de réduire la pauvreté et l’inégalité de revenu ou sur des améliorations dans le domaine de la stabilité financière, les décideurs politiques devront faire des choix entre libéralisation financière, intégration et stabilité financière. Des politiques de libéralisation financière soigneusement conçues doivent être mises en place en temps opportun pour ne pas déstabiliser le système financier. Par ailleurs, les dernières crises, financière et de la dette, ont démontré que la libéralisation financière et son développement ne conduisent pas toujours à la diminution de la pauvreté et des inégalités, ou à stimuler la croissance et le développement. Au contraire, et dans de nombreux cas, les politiques visant à favoriser le développement financier et les innovations ont provoqué des recessions et eu des effets préjudiciables sur la croissance et le développement de nombreux pays MED, où l’écart entre riches et pauvres s’est creusé encore davantage.

La région MED se trouve à un tournant décisif, avec des changements qui bouleversent un grand nombre de ces pays et créent un environnement favorable à la réforme économique et financière. Ayant manqué un certain nombre d’opportunités de réduire la pauvreté et les inégalités, d’introduire de vastes réformes financières et institutionnelles, et de réaliser des progrès substantiels en termes d’inclusion financière, les pays MED doivent déployer davantage d’efforts dans le futur. Les mouvements sociaux dans la région et les séries antérieures de crises financières ont dévoilé les faiblesses de leur modèle de développement financier et soulevé la question de comment réformer le plus efficacement les politiques financières et créer l’espace nécessaire pour répondre au mieux aux besoins de tous dans la société, pour atteindre même les plus défavorisés. Le rythme lent de développement financier et les politiques de libéralisation adoptées dans la plupart des pays MED dans le passé ont toutefois donné un niveau de croissance économique acceptable, et permis d’atteindre les objectifs de stabilité économique et financière. Les booms pétroliers ont généré des taux de croissance acceptables, avec de meilleurs résultats pour les pays producteurs de pétrole que pour ceux moins développés. Néanmoins, l’impact de telles politiques économiques et financières n’a pas conduit aux résultats escomptés en termes de développement humain, de réduction de la pauvreté et de stabilité financière. La croissance n’a pas été inclusive et a creusé l’écart entre les riches et les pauvres, ce qui est particulièrement le cas en Egypte et au Maroc. En fait, pour certain, la libéralisation financière a aggravé l’instabilité financière. A la lumière d’une réévaluation critique des accomplissements et échecs des pays MED, une nouvelle approche de développement financier doit être adoptée. Ce nouveau modèle doit être plus holistique, intégrant les sphères financières et sociales, et être combiné à des institutions financières fortes. Il est essentiel que les politiques se développent pour accueillir ces sphères en les plaçant à un même niveau d’importance, et au service d’une vision de long terme axée sur le développement financier.

Le nouveau modèle doit repenser les politiques financières pour qu’elles intègrent des priorités de développement et opérer des changements structurels. Les politiques financières devront être redéfinies pour atteindre non seulement la stabilisation financière, un ajustement et la croissance économique, mais également pour amorcer la transformation requise et générer une croissance généralisée, inclusive et durable. Dans ce contexte, les instruments politiques tels que le développement financier et l’inclusion, la diversification et la libéralisation du secteur financier devront être traités avec attention. En même temps et dans le cadre de ce nouveau paradigme, les politiques financières ne devront pas se dispenser de répondre aux objectifs de la politique sociale où les intérêts et le bien-être de tous dans la société doivent être la cible. Il est donc de prime importance de garantir que la politique sociale soit indissociable des politiques de développement financier pour induire les transformations nécessaires et assurer l’inclusion financière et la croissance économique. Si les sphères sociales et financières doivent être reliées pour créer des synergies, ce nouveau modèle de développement financier n’atteindra pas ces objectifs si les réformes politiques et institutionnelles restent superficielles. Enfin, pour réduire durablement la pauvreté et les inégalités il faut admettre que les politiques, les institutions, les politiques financières et socio-économiques sont étroitement liées et ont un impact les unes sur les autres. Coordonner les politiques financières et sociales et les réformes institutionnelles et politiques induira des changements positifs et durables en vertu d’une vision de développement financier clairement définie.