Le coût économique du changement climatique dans les pays MENA : une évaluation quantitative micro-spatiale et une revue des politiques d’adaptation

a)     Revue de littérature concernant les prévisions liées au changement climatique Les pays d’Afrique du Nord et du Proche Orient (MENA) seront touchés par les effets du changement climatique sur leurs économies. Les estimations disponibles indiquent une baisse attendue du PIB de l’ordre de 0,4% à 1,3%. Cette baisse pourrait même atteindre 14% si aucune mesure de lutte et d’adaptation face au changement climatique n’est adoptée. En raison de leur position géographique, les pays MENA figurent parmi les régions du monde les plus vulnérables, bien que de façon différenciée selon les pays. Ainsi, selon certaines études, la hausse des températures moyennes et la baisse des précipitations risquent d’être plus importantes que la moyenne mondiale. Les effets attendus dans ces pays couvrent la diminution des ressources en eau, la dégradation des sols, l’élévation du niveau de la mer et la pénétration des eaux salées dans les terres, etc. De tels impacts sont susceptibles d’affecter les activités économiques, avec des effets importants sur l’agriculture et le tourisme, suite à la baisse  significative des rendements agricoles et à la hausse de la salinisation des terres due à l’érosion et à la pollution des sols par le sel. De plus, le changement climatique aura des effets négatifs sur les écosystèmes provoquant ainsi la diminution de la biodiversité qui affectera les espèces individuelles, les écosystèmes et les services associés dans les pays MENA.Les prévisions effectuées en 2007 par le Groupe  International sur le Changement Climatique (IPCC) indiquent une hausse de la température de l’ordre de 2°C dans les 15 à 20 prochaines années, et jusqu’à 4 à 6,5°C à la fin du 21e siècle. Même si les émissions de gaz à effets de serre (GES) sont limitées dans les pays MENA par rapport aux pays développés, ces pays figurent parmi les plus gros producteurs de pétrole qui rejettent du CO2. Par ailleurs, l’augmentation de la température moyenne devrait s’accompagner d’une baisse d’au moins 20% des précipitations dans les pays MENA. Cette situation est inquiétante dans la mesure où ces pays figurent parmi les pays du monde disposant des plus faibles ressources en eau, ce qui les rend climatiquement dépendants de l’agriculture ainsi que d’une population et d’activités économiques concentrées en zones côtières inondables. Ainsi, la hausse des températures et la baisse des précipitations attendues risquent d’augmenter la fréquence des sécheresses, ce qui va exposer de 80 à 100 millions de personnes en zones d’insuffisance en eau à l’horizon 2025. De plus, en zone urbaine, une hausse des températures de 1 à 3°C pourrait exposer entre 6 et 25 millions de personnes aux inondations côtières. Les gouvernements des pays MENA sont conscients de ces défis à travers la déclaration des pays arabes reconnaissant l’utilité des mesures de prévention et d’adaptation au changement climatique. En outre, suite aux accords de Copenhague, quatre pays MENA ont annoncé qu’ils s’associaient à ces accords. Il s’agit du Maroc, de la Jordanie, d’Israël et de la Tunisie.Au niveau sectoriel, le changement climatique aura des effets importants sur l’agriculture et la sécurité alimentaire des pays MENA, suite à la baisse significative des rendements. De plus, les dérèglements climatiques vont causer de sérieux problèmes liés à la gestion de l’eau et à la hausse du niveau de la mer. L’impact négatif sur l’agriculture est supposé avoir des conséquences sur l’exode rural, ce qui accélérera les processus d’urbanisation avec les problèmes associés comme le logement, l’emploi et les investissements en infrastructures. Enfin, le tourisme, qui représente entre 2 et 12% du PIB selon les pays, sera négativement impacté à partir de plusieurs canaux tels l’élévation de la température, les disponibilités en eau et les prix du transport international.
b)    Evidence statistique du changement climatique dans les pays MENAA partir de nouvelles bases de données au niveau micro-spatial, ce rapport permet une analyse statistique du changement climatique pour 808 régions des pays MENA de 1900 à 2008. Les résultats montrent que le changement climatique dans les pays MENA a déjà débuté, tant en termes de hausse de température que de baisse de précipitations.Les pays du Maghreb sont les plus concernés par le réchauffement climatique, qui a généralement débuté dans les années 70. La hausse des températures après ce changement structurel s’élève à +0,3-0,4°C. Ce réchauffement s’est accéléré depuis le début des années 2000 (+0,9/+1,2°C par rapport à la période précédent le changement structurel). Durant cette période, le réchauffement climatique concerne également les pays du Mashrek, bien qu’à un degré moindre (+0.3/+0.6 °C).Tableau 1: Le réchauffement climatique dans les pays MENA (hausse de la température, °C)t1p14frFigure 1: Réchauffement climatique après le changement structurel carte1p4La baisse des précipitations est également très significative. Elle concerne principalement les pays du Mashrek. De plus, ce processus a commencé plus tôt que le réchauffement climatique (souvent avant les années 30). Au cours de la période la plus récente (1990-2008), les précipitations moyennes annuelles du Mashrek et de la Libye ont atteint seulement 50% du niveau enregistré au début du 20e siècle (1900-1929). En revanche, la baisse des précipitations est moins accentuée au Maghreb et en Turquie (de -8% à -17% sur la même période).Table 2: Moyenne des précipitations par période de 30 ans (mm)t2p15Figure 2: Variation des précipitations depuis le début du 20e sièclecarte2p5Dans l’ensemble, ces résultats sont conformes aux prévisions mises en évidence par la revue de littérature. En effet, nous avons démontré que le changement climatique n’est pas seulement prévu dans le futur, comme l’indique la littérature, mais ce processus a déjà démarré au moins depuis les années 70 et concerne tous les pays MENA.c)     L’impact du changement climatique sur le PIB et le PIB par habitant des pays MENA.Nos premières estimations indiquent qu’une hausse de 1°C des températures provoque une baisse du PIB par habitant de l’ordre de 8% en moyenne, avec une fourchette variant de -17% pour l’Egypte à 0% pour la Turquie, la Tunisie et certains pays du Mashrek. Cette fourchette est proche de la moyenne mondiale, qui est de l’ordre de -8,5% pour une hausse de 1°C de la température (Dell et al. 2009). Cependant, l’impact de la réduction des précipitations sur le PIB n’est pas significatif.En tenant compte de l’autocorrélation spatiale des résidus, l’impact du réchauffement climatique est toujours significatif, surtout en Afrique du Nord. Ces pays sont d’ailleurs ceux pour lesquels le réchauffement climatique est le plus significatif, puisque la hausse des températures atteint déjà 1°C depuis les années 70. Pour les autres pays, l’impact de la hausse de la température sur le PIB par habitant est moins significatif. Il est vrai que ces pays sont également moins touchés par le réchauffement puisque la température dans ces pays n’a augmenté que de 0,5°C. Dans l’ensemble, l’impact du réchauffement climatique  sur le PIB par habitant est généralement inférieur à 5%, sauf pour l’Egypte (15%). Quant à l’impact de la baisse des précipitations, il reste généralement non significatif.L’analyse au niveau macro-spatial (c’est-à-dire au niveau des pays dans leur ensemble)  permet d’expliquer la croissance dans les pays MENA avec un nombre élargi de variables explicatives. Les résultats indiquent que la température et les précipitations sont deux variables significatives qui expliquent la croissance dans les pays MENA. De plus, d’autres variables clé comme l’éducation, la R&D, les infrastructures et les communications influencent également la croissance de façon significative. Enfin, certaines variables liées au commerce international peuvent avoir une influence négative sur la croissance, notamment car les pays MENA sont trop spécialisés dans des produits à faible valeur ajoutée qui ne « collent » pas suffisamment à la demande internationale.Dans l’ensemble, ces résultats sont cohérents avec la revue de littérature qui prédit des effets négatifs du changement climatique sur le PIB. Ce rapport montre que ces effets ont déjà commencé à se manifester dans les pays MENA.
d)    Options de politique économique Il existe plusieurs initiatives entreprises par les pays MENA dans le domaine du changement climatique. La plupart ont été mises en ?uvre conjointement avec les donateurs tels que la Commission Européenne et la Banque Mondiale. Dans chaque pays, plusieurs projets ont été mis en place, ce qui indique la préoccupation des gouvernements face aux changements climatiques et leurs conséquences. Toutefois, ces efforts restent insuffisants pour créer à une échelle importante, des changements positifs significatifs. Il existe un réel besoin de changements structurels et d’envergure des politiques gouvernementales. De plus, de tels changements doivent impérativement être coordonnés. Par exemple, plusieurs pays MENA ont développé des programmes d’actions nationaux d’adaptation (NAPA), faisant suite aux directives de la convention des Nations Unies sur le changement climatique (UNFCCC).Les mesures d’adaptation adoptées dans les pays MENA devraient être centrées sur des plans simples et à bas coût s’appuyant sur les connaissances traditionnelles, remplissant les conditions locales et visant à atteindre des objectifs de développement durable. Les politiques d’adaptation doivent donner des priorités aux interventions qui prennent en compte les caractères d’urgence et de vulnérabilité dans les zones concernées (zones côtières ou secteur agricole). De telles priorités diffèrent d’un pays à l’autre. Cependant, il existe aussi des politiques générales pouvant être adoptées dans la majorité des pays MENA pour atteindre les objectifs voulus.De plus, les pays MENA doivent concentrer leurs efforts sur la réduction des émissions de CO2. En effet, une telle diminution pourrait profiter aux économies de ces pays, en augmentant les gains de productivité dans l’utilisation d’énergie, en améliorant la qualité de l’air et en réduisant les embouteillages. Il existe un vaste espace pour de telles réductions à travers des projets d’économie d’énergie. Ceci nécessite de revisiter les politiques énergétiques existantes avec l’introduction de nouveaux schémas d’envergure et un système de prix et de subventions incitatifs. En termes de gestion de l’eau, un grand nombre de mesures d’adaptation peuvent être mises en ?uvre à partir d’un usage rationnel de l’eau basé sur de nouveaux systèmes de prix et de recyclage de l’eau. Enfin, des mesures liées à de nouvelles sources d’approvisionnement, comme la désalinisation, doivent aussi être considérées.Afin de réduite les GES, des initiatives de renforcement de capacité et de transfert de technologie sont nécessaires afin de développer des systèmes d’énergie efficients pour minimiser les émissions de GES tout en prenant en compte les aspects sociaux permettant de limiter les impacts négatifs sur les populations les plus pauvres. Par exemple, la plupart des pays MENA ont un énorme potentiel pour les énergies solaires. D’une manière plus générale, les mesures énergétiques devraient se concentrer sur une réorientation vers le gaz naturel, les systèmes énergétiques fossiles plus propres et éventuellement l’énergie nucléaire en plus des sources d’énergie renouvelables (éoliennes et solaires). Cependant, et en dépit des récents efforts entrepris, il reste beaucoup de place pour les améliorations futures, en matière notamment de définition de priorités nécessitant des programmes stratégiques conjoints, de la recherche et de l’investissement.