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Effets des réfugiés syriens sur les marchés du travail des pays hôtes du Moyen-Orient et d’Europe

Cette recherche vise à contribuer à l’évaluation de l’impact des réfugiés sur les marchés du travail et sur les économies des différents pays. La revue par pays et les résultats empiriques nous amènent à quatre principales recommandations politiques.

En ce qui concerne la majorité des pays, aucun lien n’a été trouvé entre l’afflux de réfugiés syriens et le chômage ou les salaires. Tout d’abord, nous recommandons de renforcer la tendance actuelle consistant à supprimer les obstacles spécifiques aux réfugiés sur le marché du travail.

En outre, dans les pays où le salaire minimum est élevé, des exceptions temporaires devraient être autorisées afin de promouvoir l’emploi des réfugiés.

Une autre recommandation importante est de fournir des opportunités de migration temporaire en phase avec les besoins du marché du travail et de remédier à la pénurie de main-d’œuvre dans certaines professions, telles que l’agriculture. Une enquête complémentaire est nécessaire en fonction des besoins de chaque pays.

Notre dernière recommandation consiste à offrir des possibilités et des programmes de travail temporaires ciblés, comme le font déjà certains pays européens, à la population locale susceptible d’être affectée par l’intégration des réfugiés et aux réfugiés eux-mêmes.

L’Entrepreneuriat Social comme moyen de soutenir la croissance et l’emploi dans les pays MED

Un modèle de croissance complet et durable, qui crée des emplois et favorise l’inclusion sociale, voilà ce dont ont besoin les pays de la rive Sud de la Méditerranée. Cependant, malgré les efforts dans chaque pays, le chômage et les inégalités de tout type restent élevés, ce qui souligne la nécessité de nouvelles approches. À cet égard, l’Entrepreneuriat Social (ES)[1] peut offrir des perspectives significatives et peut aider à aborder les problèmes endémiques des pays MED car il: i. inclut tous les groupes et a un excellent potentiel de création d’emplois, ii. est basé sur le développement régional, iii. aborde le manque de diversification; iv. offre des réponses de solidarité intergénérationnelles.

Aspirant à contribuer à ôter les obstacles au développement des entreprises sociales et à soutenir les entrepreneurs sociaux, FEMISE a entrepris un effort ambitieux pour relier les acteurs de l’Entrepreneuriat Social (SE) dans la région Euro-Med. Ces efforts ont été initiés lors de la préparation du rapport FEMISE financé par la BEI en 2014, rapport qui portait sur l’entrepreneuriat social au Maghreb, et continuent avec le rapport EuroMed FEMISE 2018 qui portera sur le développement du secteur privé (à paraître). Ces efforts ont posé les bases d’une stratégie pluriannuelle sans précédent pour l’émergence d’écosystèmes ES qui associent les communautés de coopération UE-MED avec les principaux acteurs d’impact social et de soutien à l’entrepreneuriat.

Au préalable de la publication de son rapport EuroMed 2018, FEMISE a interviewé certains de ses principaux acteurs partenaires pour obtenir leurs propositions d’idées préliminaires sur les actions qu’ils considèrent comme prioritaires pour une meilleure coopération entre les structures d’entrepreneuriat social, pour mieux connaître les bonnes pratiques internationales qui pourraient être transposables dans le contexte Sud-Méditerranéen et pour avoir un aperçu des initiatives de leurs structures respectives dans la promotion de l’inclusivité et de l’utilité sociale. Voici quelques extraits d’interviews avec trois acteurs clés de l’entrepreneuriat social en UE-MED.

Thomas Vailleux est un entrepreneur social français basé entre Paris, Lyon et Beyrouth. Il a initié et co-fondé Friends of the Middle East  une entreprise sociale favorisant la compréhension des habitants issus du Moyen-Orient. Avec une équipe libanaise, il écrit et co-réalise « Changemakers in the Arab World », un film documentaire sur les entrepreneurs sociaux du Maghreb et du Moyen-Orient. Avec MakeSense, il a récemment conçu un programme d’accélération de trois semaines dédié au prototypage de 10 solutions portées entrepreneurs sociaux libanais.

Thomas Vailleux: Les pays sud-méditerranéens ne sont pas tous égaux devant la volonté de leurs dirigeants politiques et le développement de l’entrepreneuriat social. Néanmoins, il me paraît capital de faire du partage régional des bonnes pratiques, des retours d’expérience, des réseaux et des savoirs un modus operandi, une méthodologie de travail collaborative qui incarne les valeurs portées par le secteur. Il s’agirait alors de mettre en place une plateforme de collaboration régionale pour favoriser l’échange et renforcer la coopération entre acteurs partageant des intérêts communs, notamment en vue d’une ouverture au marché régional (par partenariats, par exportations, par implantation régionale, etc.). Cette plateforme peut prendre la forme d’une plateforme web et d’un calendrier de rencontres régionales ciblant des objectifs déjà identifiés comme étant clés par des acteurs comme le think tank libanais régional Beyond Reform & Development.

A l’échelle des structures d’accompagnement, des méthodologies innovantes et efficaces ont été inventées ou réinventées pour outiller les entrepreneurs sociaux et professionnaliser la démarche si spécifique et duale d’un entrepreneur social (social vs business). Ces méthodologies sont portées par des structures d’accompagnement à forte croissance, coopérant avec les domaines publics et privés, comme MakeSense à l’international ou Ticket for Change en France dont les fondateurs ont d’ailleurs été récompensés à de multiples reprises. Par ailleurs, la mise en place de dispositifs législatifs facilitant la création d’une entreprise sociale et réduisant les taxes pesant sur le porteur de projet en raison du caractère social de l’entreprise, en Italie et en France par exemple, semblent être indispensables au changement d’échelle du secteur. Enfin, dans les pays pionniers du secteur, raconter les histoires des solutions et des porteurs de projet s’est vite imposé comme un moyen de fédérer des communautés de « changemakers » partageant une vision commune du monde pour les mettre en action.

Friends of the Middle East est une association basée à Paris et Beyrouth dont l’un des objectifs est des de partager un autre visage de la région à travers les histoires du vécu de ses citoyens, notamment entrepreneurs sociaux. A travers notre projet de film documentaire (« Changemakers in the Arab World »), nous favorisons l’inclusion des publics marginalisés en les représentant dans notre film. Nos partenariats avec des ONGs et des fondations locales et régionales permettront à des jeunes de zones marginalisées d’être sensibilisés avec pour but de les éloigner de la violence et des extrémismes pour les rapprocher du « faire-ensemble ». Notre programme de « projections-action ! » dans plusieurs pays est d’ailleurs pensé pour engager les spectateurs dès la fin de la projection à travers des ateliers de résolution de problèmes et des mises en relation avec les acteurs de l’écosystème.

Shadi Atshan est un entrepreneur palestinien et cofondateur de Leaders Organization et FastForward Accelerator. Shadi a dirigé un groupe de professionnels talentueux pour établir ce qui est devenu la plus grande organisation de promotion de l’entrepreneuriat en Palestine (Leaders Organization ou Qeiadat). Il a développé le portefeuille d’activités de l’organisation à partir de zéro pour en faire un portefeuille de plus de 10 millions USD en moins de 8 ans. Actuellement Leaders Organization opère en Palestine, en Jordanie et en Belgique. Son travail a contribué à la création de plus de 45 startups technologiques. Aujourd’hui, Leaders Organization accueille le seul parc technologique de la Palestine « eZone », le premier accélérateur de start-ups de Palestine « FastForward », le premier accélérateur d’entreprises sociales de Palestine « SEA » et la Maison Palestinienne à Silicon Valley « PHSV » à San Francisco – USA.

Shadi Atshan: Faciliter le développement de la structure de l’entrepreneuriat social dans son ensemble, et plus particulièrement dans les pays du sud de la Méditerranée, devrait être une priorité sur trois niveaux, commencant d’un sens plus large et allant vers des stratégies micro-niveau. Une stratégie plus élargie devrait être conçue pour induire l’idée de responsabilité sociale et créer des bénéfices à travers l’activité de start-ups rentables dans toute la région. Une fois cette stratégie intégrée, des ateliers et des conférences devraient être introduits dans chaque pays, pour créer et cibler les lacunes sociales déjà existantes dans l’économie et créer des solutions rentables. Enfin, les incubateurs, les accélérateurs et les associations liées à l’entreprenariat, devraient intégrer des programmes sur mesure visant en particulier les programmes d’entreprenariat social et offrant la formation et le mentorat nécessaires pour inciter à la création de start-ups réussies.

Deux bonnes pratiques internationales que l’on retrouve directement dans les initiatives d’entrepreneuriat social, et qui débouchent sur la création de nouvelles entreprises dans la région Sud-Med, sont le recyclage et la transition vers l’énergie solaire. Ces bonnes pratiques garantissent une efficacité accrue, un coût plus faible et une plus grande durabilité à long terme pour la région dans son ensemble. Qui plus est, elles encouragent les jeunes entrepreneurs à créer de nouvelles start-up axées sur le progrès social. Afin de faciliter un tel environnement de durabilité et de pensée créative, certains programmes et aspects doivent être introduits. Le premier concerne des programmes de recherche et de développement pour encourager les entrepreneurs à créer des idées novatrices et de nouveaux produits. Le deuxième est un réseau d’experts internationaux sur le terrain, pour aider les start-ups à recevoir le mentorat et le conseil dont elles ont besoin et pour qu’elles puissent passer au niveau supérieur. Enfin, l’introduction d’un réseau de business-Angels dans la région pour investir dans les entrepreneurs, notamment dans des start-ups d’initiative sociale afin de leur permettre de développer et de créer des avantages à long terme.

L’inclusion sociale et l’utilité sociale font partie des principales initiatives de Leaders Organisation, et par conséquent, l’un des programmes qu’entreprend l’organisation est celui de l’Accélérateur d’Entreprises Sociales (SEA). Le concept a émergé suite au manque de soutien aux entreprises sociales, l’accélérateur etant censé trouver des solutions durables pour ce problème. L’accent a été particulièrement mis pour viser les femmes et les jeunes, avec l’ambition et le potentiel de créer des entreprises sociales durables qui auront un impact sur leurs communautés qui bénéficient d’un programme de soutien innovant et étendu. Ce projet va encore plus loin dans la promotion de l’engagement, les femmes et les jeunes issus de communautés marginalisées ayant des problèmes potentiels d’identité (dans la société, la politique, l’économie et l’environnement) développent leurs propres entreprises sociales et reçoivent un soutien. Le programme a offert une formation à plus de 150 entrepreneurs âgés de 22 à 30 ans, et a accueilli et soutenu 7 start-ups, avec un taux de participation de 42% chez les femmes.

Patrizia Bussi coordonne le réseau européen des entreprises sociales d’insertion(ENSIE) basé à Bruxelles, représentant les entreprises sociales et en particulier plus de 2500 entreprises sociales d’insertion par l’activité économique en Europe (27 membres dans 19 États membres de l’UE, Suisse et Serbie). ENSIE vise à contribuer au développement durable grâce à différentes actions telles que la création de liens entre le marché du travail et l’inclsuion sociale des groupes défavorisés en améliorant leurs opportunités d’emploi et leur productivité. Au cours de son temps à ENSIE, Patrizia a également travaillé pour deux entreprises italiennes d’économie sociale: le Consorcio Sociale Abele Lavoro et la coopérative sociale de type-A Stranaidea. Elle a été membre du groupe consultatif multipartite sur les affaires sociales (GECES), membre du sous-groupe de mesure d’impact social du GECES et membre du groupe italien GECES, Gruppo Multilaterale sull’imprenditoria sociale. Elle participe actuellement au GECES en tant qu’observateur. Depuis 2014, elle représente ENSIE dans le dialogue structuré avec le groupe d’experts des Fonds structurels et d’investissement européens (ESIF SD).

Patrizia Bussi: Je pense qu’il est nécessaire, dans chaque pays de la Méditerranée du Sud, de rechercher les structures de l’entrepreneuriat social et de l’économie sociale déjà existantes, les aidant à travailler ensemble afin qu’elles puissent être visibles et reconnues au niveau national et pour qu’elles puissent coopérer pour libérer les potentiels inexploités de leurs territoires. À la suite de ces étapes importantes, une coopération progressive doit être construite entre l’ensemble des structures au sud de la Méditerranée.

L’identification de bonnes pratiques internationales susceptibles d’être transposables n’est pas une tâche simple. Certaines pratiques ont déjà montré leur succès, comme le programme Incorpora au Maroc, ou certaines activités ayant un impact social en Tunisie, lancées par le groupe français SOS. Ces expériences confirment l’importance de la prise en compte des réalités territoriales (économiques, sociales, historiques, culturelles) et d’adapter les bonnes pratiques internationales à ces réalités.

ENSIE représente, soutient et développe en Europe des réseaux et des fédérations d’Entreprises sociales d’insertion par l’activité économique (Work Integration Social Enterprises-WISEs): des outils efficaces pour l’accès à la réinsertion sociale et professionnelle sur le marché du travail et pour l’inclusion sociale de groupes vulnérables. L’étude «Impact WISEs» de 2016 a examiné le cas de 807 WISE, présentes dans 9 pays de l’Union européenne et incluant 12 954 travailleurs défavorisés. L’étude a révélé que 48,5% des travailleurs défavorisés ont pu trouver un emploi dans la même entreprise, dans une autre WISE ou sur le marché du travail classique, tandis que 16,5% sont devenus des entrepreneurs autonomes ou ont trouvé une formation professionnelle qualifiante.

 

Les multiples entretiens réalisés par FEMISE ont montré la nécessité de soutenir le développement d’une politique habilitante et d’un environnement réglementaire pour l’entreprenariat social dans les pays MED. Ils ont également souligné qu’il est essentiel de sensibiliser et d’accroitre la capacité des acteurs de l’écosystème pour soutenir la croissance des entreprises sociales qui contribuent à la création de valeur et à la création d’emplois dans les pays MED. Ils ont également souligné l’importance de la communication et du partage de meilleures pratiques.

Sur la base de ces observations, FEMISE a mobilisé sa communauté scientifique pour son rapport 2018 qui portera sur le développement du secteur privé et qui comprendra un chapitre sur le potentiel de l’entrepreneuriat social dans les pays méditerranéens. Le chapitre se focalisera sur la panoplie d’outils (notamment financiers) pour soutenir et développer l’entrepreneuriat social dans cette région et présentera des actions potentielles au niveau EU-MED qui pourraient soutenir et développer l’ES. Le rapport devrait être disponible au dernier trimestre 2018.

Article par Constantin Tsakas

[1] Pour un panorama de l’Entrepreneuriat Social dans certains pays MED, veuillez lire le rapport FEMISE-BEI (2014) « Économie Sociale et Solidaire: Vecteur d’inclusivité et de création d’emplois dans les pays partenaires méditerranéens? » disponible ici.