Compétitivité prix et efficacité productive dans les secteurs manufacturiers des pays d’Afrique du Nord et du Moyen Orient

Cette étude sur la compétitivité prix dans les activités manufacturières est conduite sur cinq pays : Egypte, Jordanie, Maroc, Tunisie, Turquie. Au cours des dix dernières années, ces pays ont suivi des politiques de change différentes. L’Egypte et la Jordanie ont maintenu un rapport de change privilégié au dollar tandis que le dinar tunisien et le dirham marocain ont été arrimés de manière flexible à l’euro. La livre turque est en régime de flottement géré. Plusieurs indicateurs de compétitivité prix sont tour à tour considérés et calculés. Dans la première partie de cette synthèse, on fait porter l’accent sur le concept de taux de change d’équilibre. La notion s’entend par rapport à un principe de parité des pouvoirs d’achat ou des coûts relatifs, mais aussi par rapport à un vecteur de variables réelles conditionnant l’évolution de long terme du taux de change d’équilibre. La seconde partie fait référence à une compétitivité prix appréhendée sur une base plus sectorielle par l’évolution des taux de change effectifs réels par groupe de produits manufacturés exportés par chacun des pays MENA. La troisième partie reporte l’attention sur les efforts productifs des secteurs et permet d’ajuster les taux de change effectifs réels de chacun d’eux en fonction des gains de productivité absolus ou relatifs, c’est-à-dire, en comparaison des pays qui constituent des concurrents directs sur le marché international. Sur la base exclusive de la Tunisie, qui offre des séries de données de production à la fois plus longues et moins chahutées que pour les autres pays, on s’intéresse également à scruter des mouvements de convergence ou de rattrapage des productivités entre la Tunisie et l’OCDE.
Les prix relatifs et la compétitivité globale
La mesure de la compétitivité par les prix peut-être approchée de différentes manières. L’indice auquel il est couramment fait référence : le taux de change effectif réel (TCER), traduit une évolution comparée des prix relatifs que l’on ajuste des variations nominales des taux de change des monnaies considérées. Les TCER ont été calculés par rapport à deux sous ensembles de partenaires commerciaux bilatéraux: les principaux pays d’importation (hors produits pétroliers) et les principaux pays d’exportation de biens. Cette analyse de la surévaluation par étude du principe de parité prix ou parité coût est prolongée par une étude des mésalignements macroéconomiques. La procédure d’analyse adoptée a impliqué de régresser les taux de change effectifs réels (TCER) sur un vecteur de leurs déterminants économiques de long terme. La relation économétrique, estimée à partir d’un panel de 52 pays en développement observés sur la période 1980-2005, permet de définir une évolution « normale»  du taux de change compte tenu de l’évolution observée de ces « fondamentaux ». En présence d’une relation de cointégration, non rejetée par l’analyse économétrique, deux types d’estimateurs sont utilisés pour l’obtention des coefficients de long terme : DOLS, Dynamic Ordinary Least squares et FMOLS, Fully Modified Ordinary Least squares. Une fois que les coefficients du taux de change d’équilibre sont estimés, les taux de change réels d’équilibre des pays en développement peuvent ainsi être déduits de la différence entre le taux de change effectif réel « observé » et le taux « estimé ». Les coefficients de régression sont multipliés par la valeur de long terme de chacune des variables que l’on obtient, soit par la moyenne mobile sur cinq ans, soit par la procédure de filtrage de type Hodrick Prescott qui permet de séparer la valeur « permanente » d’une série de ses mouvements « transitoires ». Pour des raisons de disponibilité des données, la Turquie n’a pas été considérée pour cette analyse en panel. Si l’on se positionne en fin de période, la situation des quatre monnaies suggère l’existence d’une sous-évaluation qui va d’une faible intensité pour le Maroc voire la Jordanie à des niveaux de sous-évaluation plus prononcés pour la Tunisie et l’Égypte. Les différents estimateurs, ainsi que les procédures de filtrage de la valeur permanente des fondamentaux, délivrent des conclusions relativement convergentes. Les pourcentages de mésalignement diffèrent toutefois du simple au double pour le Maroc et la Jordanie. Ils sont à peu prés du même ordre de grandeur, pour l’Egypte et la Tunisie, quand on passe de la moyenne mobile au filtre de type Hodrick Prescott.
Au total, les résultats de fin de période suggèrent qu’en tendance, toute chose égale par ailleurs, les monnaies seraient plutôt au voisinage du taux de change de parité des prix et coûts. En revanche, ils seraient plutôt sous évaluées en regard du critère du taux de change d’équilibre de l’ordre de 10 % à 30 %. D’un côté, cette situation pourrait signifier que les producteurs de biens manufacturés n’ont pas beaucoup à espérer dans une politique de change plus « active ». Mais d’un autre côté, la sous-évaluation en regard du critère du taux de change d’équilibre peut aussi signifier que la politique de change a déjà internalisé les contraintes de compétitivité de certains producteurs manufacturiers, notamment en termes de libéralisation commerciale et de concurrence accrue sur les marchés mondiaux.
Les prix relatifs et la compétitivité manufacturière
Les taux de change effectifs réels sur les productions manufacturières sont calculés selon le principe suivant. Le profil des exportations de chaque pays est d’abord défini en considérant ses échanges moyens de la période (1999-2003) sur les produits des classes 5 à 8 de la Classification Type du Commerce International (CTCI). Pour chaque groupe de produits : trois et quatre chiffres selon la nomenclature, un TCER est construit. Il met le pays en relation avec les dix principaux exportateurs mondiaux du groupe de produits considérés. La moyenne géométrique de ces différents indices géométriques est ensuite calculée en utilisant un schéma de pondération reflétant la structure des exportations manufacturières du pays. De ces indices à double pondération, on retiendra que la mesure de la compétitivité sectorielle délivre des enseignements voisins de ceux dégagés avec les TCER « macroéconomiques ». En d’autres termes, les partenaires et les pondérations changent, mais les résultats établis demeurent en évolution comme en niveau sur la fin de période. Par rapport à l’année de base 1995, on retrouve notamment une dépréciation sensible, de l’ordre de 25% pour les TCER des exportations manufacturières de l’Egypte et de la Tunisie. A contrario, des appréciations sont mises en évidence, d’ampleur modérée, pour la Jordanie : 11 % et de plus forte intensité pour la Turquie, environ 50 %.
Une manière de compléter le diagnostic, tout en relâchant certaines des hypothèses restrictives des indices sectoriels des TCER, peut consister à recentrer l’attention sur les prix relatifs internes, en particulier sur le rapport de prix entre les biens non échangeables et les biens manufacturiers échangeables que l’on assimile aux produits effectivement exportés. Chacun de ces produits est ensuite pondéré en fonction de son importance relative dans les échanges internationaux du pays. Le rapport des deux indices de prix : biens à la consommation et biens exportés, établit un taux de change réel (TCR) qui éclaire les incitations internes à la production de biens échangeables. Dans l’ensemble, à l’exception de la Jordanie, tous produits confondus, ces prix relatifs internes sont plutôt moins favorables aux pays étudiés que ne l’étaient les taux de change effectifs réels. En moyenne, la dégradation comparée est de l’ordre de 5 à 10 points d’indice. On observera cependant qu’en dehors de la Turquie, pays pour lequel le diagnostic demeure avec une surévaluation des coûts relatifs de production de l’ordre de 60 %, les autres pays ne révèlent pas de graves handicaps de compétitivité prix. En Jordanie, bien que les chiffres ne soient pas disponibles après 2003, il faut considérer que la dépréciation du dollar a été un facteur d’amélioration exogène de la compétitivité sans que les autorités n’aient eu à se soucier de promouvoir une relation de change plus flexible. Globalement, la politique de change a semble-t-il soutenu le développement ou en tout cas, l’ajustement des secteurs manufacturiers dans une période où la libéralisation des importations et l’émergence de nouveaux pays producteurs appelaient des efforts. La Tunisie a été la plus active. Le dinar est en effet sous évalué dans des proportions assez voisines de ce que suggéraient les indices de TCER avec une pondération fondée sur le commerce bilatéral agrégé. L’Egypte est également dans une situation plutôt favorable, mais avec une forte variabilité des taux de change nominaux qui complique l’interprétation dans le temps. Les autres pays ont été dans une situation moyennement favorable voire défavorable, notamment en ce qui concerne la Turquie.
La compétitivité sectorielle et le comportement productif
Pour un niveau du taux de change nominal qui se fixe en fonction des conditions de l’équilibre macroéconomique, les producteurs d’une branche ou d’un secteur doivent gérer leurs faiblesses sectorielles par une intensification de l’effort intra-organisationnel. Ces efforts prennent la forme de gains de productivité ou mieux, de gains relatifs, calculés en comparaison des performances productives des concurrents dans le secteur. Pour un pays donné, une évolution de la productivité plus favorable peut ainsi compenser le handicap de coût nominal, notamment en salaires. La productivité totale des facteurs a été calculée de manière non paramétrique (indice de Törnquist) et paramétrique (indice de Malmquist), ce dernier indice permettant une décomposition de la productivité en ses éléments d’efficience technique et de progrès technique. Quel que soit l’indice retenu, la différence de productivité avec les pays de l’OCDE est peu évidente. Implicitement le processus de rattrapage est donc lent. La Tunisie semble le pays le plus efficace, en particulier pour la chimie et les matériaux de construction. L’écart s’y révèle supérieur d’un point de pourcentage par an en comparaison de l’OCDE.
Vis-à-vis de l’OCDE, une nouvelle série de taux de change effectifs réels a été calculée où l’on privilégie la notion de secteur d’activité sur celle des biens CTCI (CHIM, IAA, IMCCV, IMD, THC). Ces taux sont ajustés des trends de productivité de manière à obtenir l’évolution du coût unitaire relatif entre les pays MENA et les pays de l’OCDE. La Tunisie est le seul pays ou ces ajustements de productivité semblent améliorer la compétitivité sectorielle, plus particulièrement pour la Chimie. Dans l’ensemble, la Tunisie a donc bénéficié d’une amplification des effets de la politique économique à travers notamment la politique de change et l’objectif de stabilité des prix. Pour les autres pays, la situation est beaucoup moins systématique. Dun côté, les gains de productivité ont existé, mais dans des proportions souvent insuffisantes pour compenser l’appréciation des taux de change effectifs réels.
La disponibilité en longue période et la fiabilité des chiffres tunisiens sont la raison pour laquelle une analyse des déterminants de la productivité sectorielle et du processus de convergence avec l’OCDE a été effectuée pour la Tunisie. Les gains sectoriels peuvent s’expliquer ici par de nombreux facteurs dont certains sont dans une relation de causalité ambiguë avec la productivité. La causalité unidirectionnelle n’est pas rejetée pour l’investissement direct étranger et pour le taux d’exportations nettes de chaque secteur. Un impact bidirectionnel est trouvé à la fois pour l’effet de la demande locale et pour la structure des exportations qui est sujette à se déformer dans le temps. L’analyse de la convergence de ces productivités avec l’OCDE montre que certains secteurs seraient dans un processus de rattrapage. La plupart des autres pays MENA pourraient être davantage dans des logiques de convergence économétrique au sens de la stationnarité des écarts de productivité.