Intégration Financière et vulnérabilité aux chocs : implications sur le coût du capital dans les marché émergents de MENA

FEM34-10 | Mai 2013

Titre

« Financial Integration and Shock Vulnerability: Implications for the Cost of Capital in Emerging MENA Markets »

Par

Simon Neaime, Institute of Financial Economics, American University of Beirut

Contributeurs

Thomas Lagoarde-Segot, Euromed Management, Marseilles, France & Alexis Guyot Audencia PRES-LUNAM, Nantes, France

Note :

Ce rapport a été réalisé avec le soutien financier de l’Union Européenne au travers du Femise. Le contenu du rapport relève de la seule responsabilité des auteurs et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant l’opinion de l’Union Européenne.

Résumé :

Des efforts considérables ont été consacrés à la région MENA pour améliorer les investissements de portefeuilles étrangers dans les marchés boursiers de la région. Les politiques de libéralisation financières ont donc inclus, parmi d’autres, des projets pour revitaliser les différents marchés boursiers afin d’encourager la participation internationale dans les entreprises cotées, augmentant ainsi l’afflux des capitaux et diminuant le coût du capital  sur les marchés nationaux de la région MENA. Par ailleurs, et en dépit de leur faible capitalisation boursière, pendant les dix dernières années, les marchés boursiers des pays de la région MENA ont montré des caractéristiques de performance parallèles à d’autres marchés émergents dans des stages de développement similaires. Des taux de croissance records de la capitalisation boursière peuvent être observés au Maroc et en Jordanie, et dans une moindre mesure, en Egypte et en Tunisie pendant la période 1998-2011. Cela est dû à des plans de privatisation massifs introduits dans ces pays, et à la vaste vente de biens publics à des entreprises privées, et aux efforts considérables consacrés récemment pour renforcer l’efficacité, la profondeur, l’intégration et la liquidité des quatre marchés boursiers. Néanmoins, le capital privé et les flux de portefeuilles dans la région sont restés limités. Les investissements de portefeuilles intra régionaux et internationaux ont été réalisés principalement dans les économies de la région MENA qui ont mis en ?uvre des politiques favorables au renforcement du cadre du fonctionnement du marché financier intérieur.Compte tenu de ce qui précède, cette étude met en évidence l’impact de l’intégration financière internationale sur le coût du capital dans les pays émergents de la région MENA pendant les périodes de crises  financières et non financières. Comparée aux autres économies émergents et comme indiqué ci-dessus, l’attractivité de la région MENA pour les investisseurs internationaux a été très modeste avant la crise financière, même dans les pays les plus performants du Maroc, la Tunisie, la Jordanie et l’Egypte. Ces pays de la région MENA ont récemment libéralisé, plus que d’autres, le règlement des investissements, et ont enlevé les restrictions sur la propriété ainsi que les obstacles aux flux commerciaux et de capitaux.De plus, cette étude ajoute à la littérature financière existante en donnant une nouvelle perspective sur les implications micro-économiques de l’intégration financière internationale sur les coûts de capital de l’entreprise dans les marchés financiers d’Egypte, de Jordanie, de Maroc et de Tunisie. Dans ce but, nous développons un certain nombre de proxy annuels pour le coût des fonds propres au niveau des entreprises dans un panel composé des quatre marchés émergents, en utilisant différentes méthodologies. Nous calculons ensuite un nombre d’indicateurs mesurant l’intégration financière annuelle qui capturent les liens de long terme, la dynamique de l’exposition des pays aux chocs internationaux (distinguant la contagion fondamentale de la contagion décalée), et la structure de propriété (distinguant la catégorie de la stratégie des investisseurs). Enfin, nous analysons l’impact de l’intégration internationale sur le coût de capital microéconomique en utilisant un ensemble de modèles de données  dynamiques avec des variables de contrôle appropriées et des tests de robustesse. Nos résultats fournissent de nouvelles informations sur l’impact de l’intégration financière internationale sur le secteur réel. Nous serons également capable de surveiller les niveaux d’intégration et de comparer le coût de capital entre les quatre pays de la région MENA.Notre base de données est tirée de la base de données Thomson Reuters et couvre quatre pays de la région MENA: la Tunisie (47 entreprises), l’Egypte (200 entreprises), le Maroc (68 entreprises) et la Jordanie (220 entreprises). Pour chaque entreprise cotée, nous récupérons le prix quotidien de clôture, la valeur de l’indice du marché ainsi que les informations sur le niveau de l’entreprise sur une base annuelle: le nombre total d’actions en circulation, la structure financière (capitaux propres au total des actifs), le chiffre d’affaires annuel (le volume des titres annuels échangés divisé par le nombre d’actions en circulation), et la propriété totale des investisseurs institutionnels étrangers.Nos résultats empiriques montrent que :(1)  Dans chaque pays de la région MENA de notre échantillon, une augmentation de l’exposition aux chocs financiers conduit à une augmentation du coût des fonds propres. Dans le cas où tous les quatre pays de notre échantillon sont inclus, les coefficients associés à une corrélation par paire, les valeurs p de VAR inversées, et les niveaux d’exposition au risque systématique sont tous positifs et importants.(2)  Ces résultats sont confirmés par l’analyse de la fonction de réponses impulsionnelles montrant la réaction du coût des capitaux propres MEDAFI à un écart-type dans l’une des variables de vulnérabilité aux chocs, pour chaque modèle estimé par pays.(3)  Pour chaque pays de notre échantillon, nos résultats montrent que l’augmentation de l’exposition aux chocs conduit à une augmentation temporaire du coût des fonds propres. Ces résultats suggèrent que l’intégration financière entraîne une augmentation du coût des capitaux propres dans les périodes troubles. Ce mécanisme fonctionne grâce à un ajustement du portefeuille : au cours de l’intégration financière, l’exposition aux risques systématiques passe d’un MEDAF domestique où le risque systématique est mesuré par la variance de l’indice local, à un MEDAF International où les investisseurs déterminent les rendements attendus en surveillant l’exposition de l’entreprise aux chocs internationaux  sur le marché d’indices mondial. Etant donné que les betas des entreprises des marchés émergents sont généralement plus faibles, ce mécanisme conduit à une prime de risque plus faible. Toutefois, si les gains de la diversification sont compensés par une augmentation importante de la variance du marché international ou annulés par une augmentation soudaine des co-mouvements, cette causalité devient alors positive. En d’autres termes, l’adoption de modèles de prix internationaux par les investisseurs des marchés émergents peut conduire à une hausse du coût des fonds propres pour les entreprises cotées en période de tensions financières provoquées par l’extérieur.(4)  Du point de vue politique, ces résultats suggèrent que, même si l’intégration financière présente des avantages à long terme, elle est accompagnée par des coûts de déstabilisation en périodes de crises internationales. En outre, nos résultats montrent que la déstabilisation ne se limite pas au niveau macroéconomique mais affecte également le coût de capital microéconomique. Cela peut expliquer en partie la baisse observée dans l’investissement total dans la région à la suite de la crise mondiale (étant donné que le coût du capital affecte négativement la valeur actuelle nette des projets d’investissements).(5)  Le défi politique est donc de protéger les économies émergentes des flux de capitaux chauds et des chocs de liquidité mondiaux, tout en récoltant les avantages de l’intégration. Nous soutenons que la segmentation du marché des capitaux et les politiques de répression financières apporteraient des résultats indésirables. Améliorer la transparence financière et la résilience des marchés semble être une priorité.Les implications politiques de l’étude sont les suivantes:(1)  Le développement du secteur financier de la région MENA doit être une priorité de l’agenda de réforme. Les marchés boursiers et obligataires sont parfois quasi absents et les entreprises ne peuvent pas lever des capitaux ni à l’intérieur ni à l’extérieur.(2)  L’augmentation de l’intégration financière au sein de la région MENA permettrait de réduire la vulnérabilité de ces marchés aux chocs internationaux et devrait apporter des avantages considérables pour les investisseurs de la région en rendant le capital plus mobile à travers les frontières et en abaissant le coût du capital. Par conséquent, un marché des capitaux plus liquide offrirait des coûts d’emprunts plus faibles pour le secteur des entreprises de la région MENA qui souhaite lever des fonds localement et permettrait de réduire son exposition aux afflux de capitaux spéculatifs de  court terme.(3)   L’augmentation de la libéralisation financière au sein de la région MENA est également prévue de renforcer l’intermédiation régionale des ressources financières grâce à l’intégration étroite des marchés financiers et à l’accès accru des investisseurs de la région MENA aux marchés financiers régionaux pour financer les investissements. En outre, les investisseurs de la région MENA auront accès à une variété de taux de rendement ajustés aux risques pour améliorer l’efficacité de la répartition et la diversification du portefeuille, ce qui favorisera l’efficacité des marchés financiers de la région MENA. Une hausse de la libéralisation dans la région MENA devrait attirer des investissements de portefeuilles importants pour la région dans le but de diversification.(4)  Le renforcement des marchés locaux de capitaux de la région MENA, en particulier les marchés boursiers, est aussi une autre façon d’atténuer les effets de la crise financière mondiale, et aidera à réduire l’exposition des entreprises privées à des asymétries de monnaies dues aux emprunts étrangers. Ces entreprises pourront lever des fonds localement et réduire leur exposition aux chocs financiers extérieurs. Ils réduiront également toutes asymétries de monnaies (risque du taux de change) dans leurs bilans, et atténueront les répercussions de toutes sorties soudaines de capitaux émanant de la crise actuelle ou d’autres chocs financiers.(5) Une façon de se protéger des mécanismes mis en évidence dans cette étude serait de mettre en place une réglementation de divulgation d’information plus stricte (des normes comptables, des exigences d’audit), afin d’empêcher les vagues d’élevages mimétiques irrationnels des investisseurs non informés. Des études antérieures ont montré que les informations imparfaites aboutissent à un commerce mimétique. Ceci induit des augmentations significatives de la corrélation entre les indices de marchés nationaux et internationaux en périodes de crises, conduisant finalement à une augmentation du coût des fonds propres. Ces réformes de transparence doivent être faites dans le contexte d’un accroissement des échanges Sud-Sud et de l’intégration financière, ce qui aiderait à consolider les marchés et réduire la vulnérabilité de contagion. Parmi les exemples récents de ces politiques dans les pays émergents celui de l’intégration des marchés d’obligations en Asie du Sud Est, ou des réformes prudentielles continues en Corée du Sud, la Malaisie et l’Indonésie. L’intégration financière internationale devrait rester un objectif de politique de long terme. Cependant, les risques associés doivent être pleinement reconnus et abordés via des réformes nationales et une coopération internationale.(6) Afin d’améliorer l’intégration du marché financier, les responsables politiques de la région MENA ont besoin d’analyser la façon dont le coût des fonds propres au niveau des entreprises réagirait en période de crise financière internationale ou régionale. Cela permettrait une meilleure compréhension des avantages et des coûts de l’intégration du marché des actions.