Déterminants et conséquences des migrations et des transferts de fonds : les cas de la Palestine et de la Tunisie

FEM33-16 | Février 2012

Titre

« Determinants and Consequences of Migration and Remittances: The Case of Palestine and Tunisia »

Par

Mahmoud Eljafari, Al-Quds University of Jerusalem, Palestine

Contributeurs

Mongi BOUGHZALA & Mohamed KOUNI, Université de Tunis El Manar, Tunisie

Note :

Ce rapport a été réalisé avec le soutien financier de l’Union Européenne au travers du Femise. Le contenu du rapport relève de la seule responsabilité des auteurs et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant l’opinion de l’Union Européenne.

Résumé :

Ce rapport est composé de deux parties et traite de plusieurs questions relatives à la migration internationale et aux transferts provenant des migrants vers leur pays d’origine. Il s’intéresse plus particulièrement au rôle et aux déterminants de ces transferts sur le plan macroéconomique ainsi qu’aux effets de la migration des compétences sur l’accumulation de capital  humain et  la croissance dans les pays d’origine.Dans la première partie Eljafari explore les effets macroéconomiques les plus significatifs des transferts sur l’économie palestinienne. Dans la deuxième partie préparée par Boughzala et Kouni, l’objectif principal est d’étudier l’effet non seulement du brain-drain mais aussi du brain-gain en termes d’accumulation de capital humain (HC) et de croissance. Dans ce même contexte on examine les déterminants de la migration de retour partant de l’idée que le brain-gain serait plus important quand les migrants retournent chez eux après avoir acquis plus de qualifications dans les pays d’accueil.1. Les effets  macroéconomiques  de la  migration et des transfertsSur la base de séries temporelles couvrant la période 1970-2008 Eljafari estime un modèle économétrique en vue d’apprécier les effets des transferts sur les principales variables macroéconomiques en Palestine, à savoir les importations, la consommation privée et les investissements. Ce modèle contient sept équations et prend en considération les principaux déterminants des transferts. Les flux de transferts provenant d’Israël et des pays du Golf (GCC) sont saisis  par deux équations distinctes.Le niveau de l’émigration des palestiniens s’explique par les chocs que subit le PIB palestinien, le taux d’inflation, le taux de change et le taux de chômage. Par conséquent, l’impact des transferts sur les exportations et les importations et sur les investissements et la consommation est considérable.Comment faire face aux effets négatifs de la volatilité des transferts et comment canaliser ces transferts vers plus d’investissements sont toujours les principaux défis pour les responsables palestiniens.Pour ces responsables, les transferts sont vus comme la solution potentielle aux principaux problèmes économiques [McKenzie and Sasin, 2007]. Il est assez évident qu’ils constituent une source vitale pour la Palestine et  une source non négligeable pour la plupart des pays non pétroliers de la région. Ils sont souvent essentiels pour couvrir des dépenses de consommation, de santé, d’éducation et de logement  [Sander, 2003].  Ainsi, ils fournissent des ressources pour l’accumulation de plus de capital humain et peuvent créer une plus forte incitation en faveur de l’investissement en éducation et en formation professionnelle au niveau de l’Etat et des individus.D’une manière plus générale, les transferts peuvent être à l’origine des effets suivants : i) être une source fiable de devises étrangères, ii) assurer le maintien d’un certain niveau de consommation malgré les chocs dus à l’inflation et au chômage, iii) accélérer les investissements en termes de capital physique et de capital humain. Cependant, selon plusieurs études [Gregorian and Melkonyan, 2008; Gltsos, 2005; Adams, 2006], jusqu’à récemment, il n’était pas bien établi comment exactement les ménages profitent-ils de l’aide qu’ils reçoivent de leurs proches qui travaillent dans des pays riches en Amérique du Nord,  en Europe, en Asie et au Moyen Orient.La migration internationale ne cesse de s’accélérer malgré toutes les limitations. Au cours des trois dernières décennies, la part des immigrants  dans la population des pays industrialisés a doublé et le volume des transferts dépasse maintenant celui de l’aide internationale et celui des investissements étrangers. Un habitant sur dix des pays industrialisé est un immigrant. Pour beaucoup de pays en développement, la part de la population vivant à l’étranger et la part des transferts par rapport au PIB sont à deux chiffres. On estime qu’autour de  180 million de personnes, ou 3% de la population mondiale vivent et travaillent en dehors de leur pays d’origine.A cause de la modestie des investissements et des capacités d’emploi des nouveaux diplômés en Palestine, la migration demeure le principal recours pour les jeunes diplômés palestiniens. Le chômage structurel est donc, pour les palestiniens et aussi pour les tunisiens, une cause principale de l’émigration et par suite de la dépendance des ressources provenant des transferts de émigrés. L’investissement dans l’éducation et  dans la formation professionnelle est alors la voie pour accéder à des emplois décents sur le marché international, principalement au moyen orient concernant les palestiniens et en Europe concernant les tunisiens.  Pour les pays de la région les transferts représentent au moins 2% de leur PIB alors que la moyenne pour les pays en développement est au tour de 0.5%. Plus généralement, ils continuent à croître et constituent actuellement leur principale ressource financière ; ils sont autour de US$160 milliard par an dont 60% vers des pays en développement. Cependant il ne s’agit que d’une estimation plutôt peu précise compte tenu des flux difficiles à observer.La structure des dépenses des ménages et la répartition des revenus entre consommation et épargne  dépendent du niveau des transferts effectifs et anticipés. En conséquence, les facteurs qui déterminent les flux migratoires vont aussi déterminer le comportement des ménages en matière de dépenses telles que l’éducation et la santé.Au cours des années 2005-2006, le nombre de travailleurs palestiniens en Israël, pour la plupart de la Rive West, avait dépassé les 60 mille. On estime (12ème rapport Annuel de  l’Autorité Monétaire palestinienne) que les transferts de cette provenance sont de l’ordre de US$ 500 million par an, correspondant à 13% du PIB ou 10% du PNB, ou 150% des exportations de biens (équivalent au total des exportations de biens et de services) de La Palestine.  Les transferts rapportent plus que n’importe quel secteur d’activité économique. Plus récemment, la mobilité des travailleurs palestiniens vers Israël était réduite au minimum.S’agissant de l’importance des transferts, le cas Palestinien, où ils représentent 40% des ressources extérieures,  est comparable à celui de la Jordanie et  du Liban mais dans une moindre mesure au cas Tunisien ou d’autres pays tels que la Syrie. Le rôle des transferts en Palestine sur le plan macroéconomique peut être résumé de la manière suivante :}   Au total, ils équivalent à 20% du PIB pour la période 1968-2007  mais avec de fortes fluctuations : 8% au minimum en 2005 et 35% au maximum au milieu des années 1980. Comparé à la plupart des autres pays les transferts occupent une place nettement plus élevée. Ils sont considérés comme le véritable moteur de l’économie palestinienne, à telle enseigne que cette économie est décrite comme une économie de consommation plutôt qu’une économie de production. En effet, la part de l’agriculture, l’industrie et le bâtiment est descendue de 50% en 1990 à moins de 25% en 2009, ce qui signifie que l’écart entre PIB et PNB ne cesse de s’élargir.}   Les transferts ont permis de stabiliser relativement la consommation qui avait en règle générale  dépassé le niveau du PIB. Cette stabilité était au détriment des investissements et donc de la croissance, car les revenus obtenus vont d’abord vers la consommation et ce n’est à titre résiduel à l’investissement.}   Les restrictions contre la mobilité vers Israël se sont traduites  par l’insertion de plus de main d’?uvre en Palestine dans les secteurs les plus intensifs en travail et donc par une tendance à la baisse de la productivité.}   Le niveau de transfert par personne avait varié entre $180 en 2007 et $ 369 en 1999 ; ce niveau dépasse celui de la plupart des autres pays arabes, excepté celui du Liban. En Tunisie, ce niveau était inférieur à  $150 entre 1990 et 2005.En Tunisie, au total, les transferts avaient tout de même nettement contribué aux revenus et à la croissance puisqu’ils représentent autour de 11% des recettes extérieures mais beaucoup moins qu’en Palestine ou  en Jordanie. Néanmoins, ils sont importants et continuent à croître. Plus d’un million de Tunisiens, c’est-à-dire de 10% des tunisiens sont à l’étranger, principalement en Europe, plus de la moitié en France. Malgré toutes les restrictions imposées contre la mobilité des personnes provenant du Sud de la Méditerranée, la migration continue au rythme approximatif de 25 mille personnes par an. Parmi ces nouveaux migrants, la part des qualifiés et de ceux qui avaient bénéficié de la meilleure formation est de plus en plus élevée.2. L’impact de la migration des qualifies sur la formation de capital humain et sur la croissance.La deuxième partie du rapport par Boughzala et Kouni s’intéresse principalement à  l’effet de la migration des qualifies sur la formation de capital humain et par suite sur la croissance suite à la fuite de cerveaux qui en découle (brain-drain) mais aussi au brain-gain dont on essaie de mesurer l’ampleur.La fuite des cerveaux est en effet une préoccupation sérieuse pour le pays mais la migration des qualifiés ne génère pas que des effets négatifs ; en plus des transferts la migration peut créer une incitation à investir dans le capital humain résultant de la perspective d’émigration et de la possibilité de trouver un emploi plus rémunérateur à l’étranger pour les plus qualifiés. L’émigration pourrait aussi être une opportunité pour  acquérir plus de savoir faire dont le pays d’origine pourrait bénéficier en cas de retour vers ce pays.  Il n’est pas exclu que l’effet net sur le capital humain soit positif et que le gain l’emporte sur la fuite des cerveaux mais cet effet net demeure incertain. Cela dépend entre autres de la politique d’émigration et de la probabilité de retour au pays. L’idée du gain de cerveaux n’est pas si récente. Plusieurs études s’y étaient intéressées (par exemple Beine et al. ,2001 2003, 2008; Schiff, 2005; Docquier et Rapoport, 2007?). Le vrai débat est de savoir si l’effet positif domine ou l’inverse. Haque et Kim (1995) par exemple concluent que la migration des qualifies entraine une réduction de l’accumulation de capital humain et de la croissance et aggrave les inégalités, alors que Docquier et Rapoport (2004) soutiennent que la migration stimule la formation de capital humain et la croissance.Les résultats obtenus par Boughzala et Kouni, présentés dans la première section de leur article, ne se limitent pas au cas tunisien ; ils s’appliquent aussi à un grand nombre d’autres pays. Leurs calculs sont principalement basés sur les données de Docquier et Marfouk et consistent à explorer l’effet de la migration des compétences sur la formation de capital humain. Sur le plan méthodologique, leur cadre analytique est quasiment le même que celui de Docquier et Marfouk (2008. On trouve que la perspective d’émigration mesurée par un indice que nous avons calculé a un effet positif et clairement significatif sur la formation de capital humain mais que la valeur du coefficient est plutôt faible. C’est dire que l’impact de l’émigration des qualifiés sur le capital humain est réel et l’hypothèse du brain-gain est acceptée mais cet impact est faible. Donc, compte tenu de l’ampleur du brain-drain l’effet net doit être négatif. Cependant, ce résultat doit être nuancé par le fait que dans les circonstances actuelles caractérisées par un fort chômage des diplômés dans les pays sud-méditerranéens le coût d’opportunité associé au départ de ces diplômés n’est pas si élevé.3. Les déterminants de la migration de retourLa deuxième section de ce deuxième article porte sur les déterminants et la probabilité de la migration de retour. Partant de l’hypothèse que les bienfaits de la migration sont à leur maximum quand la migration n’est pas définitive et quand le migrant finit par retourner vers son pays d’origine plus riche en connaissances et en savoir (Amin et Mattoo (2005)).C’est une question qui était longuement débattue notamment par Jérôme Adda & Christian Dustmann et Josep Mestres (2006), Belinda I. Reyes (1997), Mary Haour-Knipe et Anita Davies (2008), Christian Dustmann (2003) et par John Gibson et David McKenzie (2009). Dans cette littérature, les opportunités d’emploi et de revenue sont toujours vus comme des facteurs importants mais il ya aussi un consensus sur l’importance d’autres facteurs non financiers qui interviennent dans la décision du migrant qui pense au retour, en l’occurrence des facteurs culturels et l’intégration sociale. Cela est confirmé par la recherche présentée dans ce rapport concernant dans le contexte des pays du Maghreb.Ces résultats sont en effet basés sur les données d’enquête MIREM effectuée dans les trois pays du Maghreb. Un modèle de type logit a été estimé et les résultats les plus importants sont les suivants :

  • Premièrement, la probabilité de retour est plus forte pour les expatriés qui avaient une situation plus confortable dans leur pays d’origine avant leur depart à l’étranger. Ainsi, ceux qui étaient au chômage ou qui n’avaient jamais accede à un employ decent dans leur propre pays sont les moins tentés par le retour. Cependant, si une opportunité d’emploi intéressant dans leur pays d’origine s’offrait à eux alors il est probable qu’ils changent d’attitude et renoncent à leur résolution initiale.  La qualité et la disponibilité d’emplois dans le pays d’origine est le plus important facteur déterminant du retour indépendamment du statut du migrant durant son séjour à l’étranger. Ce statut s’est avéré non significatif.
  • Deuxièmemet, le degré d’intégration social dans le pays d’accueil est aussi un facteur important. L’intégration est en effet un facteur très significatif. En outre, ceux qui ont investi dans le pays d’accueil sont moins attires par le retour. Le coefficient relatif à cette variable est aussi significatif élevé et avec le signe attendu.

 

Enfin, le résultat le plus important pour la question de l’impact de la migration des qualifies sur l’accumulation de capital humain,  l’augmentation du niveau éducatif de l’expatrié décourage le retour et le rend moins probable.  Ce résultat explique pourquoi la faiblesse de l’effet positif de l’émigration sur l’accumulation de capital humain.