Décentralisation et Performance Economique dans les Pays Sud-Méditerranéens

FEM35-19 | Décembre 2013

Titre

« Decentralization and Economic Performance in Selected South Mediterranean Countries »

Par

Lahcen Achy, INSEA and Carnegie Middle East Center and Khalid Sekkat, Université Libre de Bruxelles

Contributeurs

Ahmed Farouk Ghoneim (Egypt) Saoussen Ben Romdhane (Tunisia)

Note :

Ce rapport a été réalisé avec le soutien financier de l’Union Européenne au travers du Femise. Le contenu du rapport relève de la seule responsabilité des auteurs et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant l’opinion de l’Union Européenne.

Résumé :

Le déficit démocratique qui caractérise les pays au Sud de la Méditerranée a engendré, entre autre, de grandes inégalités spatiales et de multiples formes d’exclusion économique et sociale qui ont, in fine, conduit aux révoltes arabes. Dans le contexte historique qu’offre les changements en cours dans la région, les peuples aspirent à une participation plus importante à la vie politique avec plus de voix et de meilleures opportunités économiques tant au niveau central qu’au niveau régional et local. Passer d’un gouvernement centralisé qui s’accapare le pouvoir et les ressources à celui qui partage avec les communautés locales est un des piliers de la transition politique pour répondre aux aspirations de la population. Toutefois, la décentralisation n’est pas une réponse magique à tout; elle a besoin d’être soigneusement conçue et mise en place. La décentralisation peut produire des problèmes de coordination, augmenter les coûts administratifs ou subir les effets négatifs d’un manque de professionnalisme des bureaucrates et représentants locaux. La décentralisation sans garde-fous risque aussi de créer davantage de corruption et de népotisme et de miner les gains potentiels de ce mode alternatif de gouvernance.

Les pays du sud de la méditerranée ont des administrations plus centralisées en comparaison avec d’autres pays émergents et en voie de développement. Les régimes autocratiques qui ont gouverné depuis que les pays ont obtenu leur indépendance n’ont pas favorisé le partage du pouvoir et a inhibé la participation politique efficace. Les trois pays (Egypte, Maroc et Tunisie) sont des états unitaires avec de multiples niveaux d’administration territoriale. Le système de gouvernance dans ces pays s’apparente davantage à une forme déconcentration et pas un transfert du pouvoir central vers des collectivités locales. Les trois pays sont dotés d’un système bicéphale d’autorité élue et nommée à chaque niveau de l’administration territoriale.

Avant l’effondrement de régime de Moubarak en Egypte, le Parti National Démocratique (NDP) dominait les conseils populaires locaux. Des anciens officiers de l’armée ont souvent été nommés à la tête de Conseils Exécutifs Locaux (LEC). En Tunisie, avant la révolution, le parti de Ben Ali (RCD) a joué un rôle important dans la politique locale. L’absence de perspective financière et de carrière dans l’administration n’a pas attiré des individus qualifiés et intègres. Au Maroc, la fragmentation du paysage politique et le mode d’élection au niveau local n’ont pas permis l’émergence de majorité fortes et stables au sein des conseils élus et limité les gains potentiels de la décentralisation.

L’éventail d’activités dévolues à l’administration territoriale semble être plus large au Maroc et en Tunisie qu’en Egypte. La décentralisation dans les trois pays est handicapée par les ressources financière limitées de l’administration territoriale. De plus l’essentiel du budget est alloué au paiement des salaires et autres dépenses courantes.

Les trois pays ont de faibles revenus locaux en raison de la décentralisation fiscale limitée. Les entités locales dans les trois pays dépendent excessivement des transferts du gouvernement. Malgré la multitude de critères sophistiqués utilisés, la répartition des transferts entre les différentes collectivités locales est contestée et ne semble pas répondre aux objectifs annoncés.

Le projet de recherche a été une opportunité pour sensibiliser les politiques sur le rôle fondamental de la disponibilité de données détaillées et précises au niveau territorial dans les domaines économiques et financiers. Le projet –à notre connaissance– est la première tentative empirique d’évaluer l’impact spécifique de la décentralisation sur certains indicateurs économiques et sociaux dans les pays du sud de la méditerranée. Le manque de données disponibles a limité l’étendue de l’exercice économétrique. A cette étape, la conclusion clé de notre partie empirique que le modèle de décentralisation comme il a été adopté dans les pays examinés ne semble avoir d’effet significatif ni sur les taux de chômage régionaux ni sur la localisation des entreprises.

Les soulèvements arabes ont donné lieu à une plus grande liberté d’expression des peuples y compris dans les régions excentriques d’habitude marginalisées par la politique nationale. Le débat politique naissant de la transition vers la démocratie dans le sud de la Méditerranée devrait mener à une ère nouvelle dans les relations entre l’état central et les territoires. Des recherches plus approfondies doivent être menées afin de déterminer, pour chaque pays, la combinaison adéquate entre les incitations à offrir en vue d’une meilleure prestation de service par le biais de la décentralisation politique et fiscale, et la place de la solidarité nationale a travers les transferts de l’Etat afin de réduire les disparités régionales.