La fin de l’exceptionalisme arabe – Message de la conférence Annuelle du FEMISE

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Date : Le 19 avril 2012

conf2011-2Le réveil des pays arabes et le rôle du partenariat euroméditerranéen – Retour sur la Conférence du Femise

Un an après le début du printemps arabe, les membres du FEMISE se sont réunis à Marseille, les 15 et 16 décembre 2011, pour leur conférence annuelle. Les économistes ont d’abord soutenu que l’éveil des peuples reposait bien sur une quête de liberté, de dignité : « Pour beaucoup, la situation économique en Tunisie et en Egypte a motivé les manifestants, mais pas seulement, assure Ahmed Galal, Président FEMISE. Nous assistons à la fin de l’exception arabe qui conduira comme dans d’autres régions du monde à la disparition des dictatures au profit de démocraties ». Un besoin de liberté toutefois modéré par une participante qui rappelle que les révoltes ont été le fait de jeunes urbains diplômés et sans emploi, ce qui remet malgré tout le besoin de liberté au cœur des problématiques économiques. D’autant que comme le pose Lahcen Achy, professeur d’économie au National Institute of Statistics and Applied Economics (INSEA) de Rabat (Maroc) et chercheur au Carnegie Middle East Center de Beyrouth, le modèle autoritaire en vigueur dans la plupart des pays arabes a tenu notamment en compensant les frustrations du peuple par la dépense publique.

conf2011-3Le président du comité scientifique du Femise, Jean-Louis Reiffers, voit en ces changements un défi pour le réseau de chercheurs qui doit renouveler ses propres méthodes, réévaluer ses modèles pour accompagner les futures politiques économiques. Il identifie cinq enjeux majeurs à prendre en considération pour gérer la transition : garantir le panier de la ménagère, mettre en œuvre un système démocratique non corrompu, donner de l’emploi aux diplômés, développer les PME et assurer l’équilibre régional entre les territoires urbains et ruraux.

conf2011-4Matts Karlson, directeur du Centre de Marseille pour l’intégration en Méditerranée (CMI), estime de son côté que l’Europe doit accompagner la transition en fixant un cadre clair, avec des objectifs aux Etats du sud. « C’est comme cela que l’Europe a soutenu la démocratisation des pays de l’est, et les conditions dans ces pays apparaissent bien meilleures que celles de l’Estonie ou de la Pologne au moment de leur transition ». Elles sont même parfois meilleures que la situation de certains Etats européens : Pierre Deusy, Responsable des Affaires Economiques et Commerciales du partenariat euroméditerranéen au sein de l’Union pour la Méditerranée (UpM), constate que l’Italie s’endette aujourd’hui à des taux plus élevés que le Maroc, ce qui lui parait significatif. Pour autant, il regrette que le changement démocratique n’ait pas donné lieu automatiquement à une rupture avec certaines pratiques : « Les règles de la gouvernance doivent être au cœur des réformes pour travailler sereinement ». Dans ce contexte, Pierre Deusy souligne l’importance du travail du Femise pour produire des études sérieuses et indépendantes. Un point de vue partagé par Henry Marty-Gauquié, Directeur représentant la Banque européenne d’investissement (BEI) à Paris, comme par les autres membres invités pour expliquer le rôle de la communauté internationale dans l’accompagnement de la transition. Raed Safadi, Directeur adjoint de la division Commerce et Agriculture de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), se montre convaincu que les Etats doivent passer la main : « aujourd’hui, les Etats créent 70% du PIB, mesure-t-il. Cette proportion doit diminuer de moitié pour créer des économies dynamiques ».

En marge des sessions plénières, plusieurs études ont été présentées évoquant le développement durable, la croissance verte, la finance, l’emploi, l’impact des migrations ou de la libéralisation des échanges. Ces papiers sont accessibles suivant ce lien.

“Les dirigeants arabes compensaient les frustrations du peuple par la dépense publique”

conf2011-5Lahcen Achy, professeur d’économie au national institute of statistics and applied economics (INSEA), Rabat et chercheur au Carnegie Middle East center de Beyrouth

Comment les régimes autoritaires arabes ont-ils pu s’installer aussi durablement en Méditerranée ?

Les régimes autoritaires sont parvenus à tenir leurs peuples, en même temps qu’ils ont obtenu le soutien des pays occidentaux. A l’exception du Liban et de la Palestine qui sont des régimes dits « hybrides », tous les autres Etats arabes pratiquaient l’autoritarisme. Ils utilisaient des méthodes connues pour asseoir leur pouvoir : ils compensaient par la dépense publique les frustrations du peuple, en s’appuyant sur le nationalisme et en utilisant la répression des opposants. Or ce système a montré ses limites cette année.

S’agit-il d’un phénomène irréversible ?

Je ne pense pas que de nouveaux régimes autoritaires pourraient s’installer à la tête des Etats libérés. Ces pays ne connaitront pas de retour en arrière. En revanche, la phase de transition peut s’avérer plus ou moins longue en fonction des pays. L’Egypte, très conservatrice, ou la Libye, à l’histoire particulière, pourraient prendre plus de temps pour parvenir à établir de véritables libertés. La Tunisie, au contraire, possède déjà une longueur d’avance. L’autre inconnue repose sur l’efficacité des politiques économiques que ces nouveaux dirigeants mettront en œuvre. S’ils n’obtiennent pas de résultats satisfaisants, nous pourrions entendre s’élever des discours populistes ou faire face à des dérives sécuritaires.

La participation aux élections dans les pays arabes est-elle suffisante pour affirmer le désir de démocratie ?

Oui ! Tous ces évènements se sont déroulés très rapidement. Or la démocratie se construit pas à pas. La population n’a pas encore absorbé le nouveau contexte. Les partis islamistes apparaissent comme une nouvelle force, qui mérite d’avoir sa chance. Ils étaient en outre les mieux organisés pour remporter ces élections. Nous observerons au fil des mois plus de rationalité dans le débat politique.

“La fin de l’exception arabe »

Ahmed Galal, Président du FEMISE et Directeur Général de l’ERF (Economic Research Forum)

« Les bouleversements récents au Moyen-Orient ont montré que les peuples dans les pays arabes partagent les mêmes aspirations que ceux des autres pays du monde. Beaucoup ont pensé que l’islam, l’histoire ou la culture justifiaient la présence et la persistance de régimes autoritaires, mais le réveil arabe a prouvé que cette notion était erronée. La fin de l’exception arabe signifie que la région doit être traitée comme toute les autres. L’impulsion démocratique, qui continue de se propager dans toute la région, est motivée par le désir de plus de liberté et de justice sociale. Un ingrédient important, pour répondre aux attentes croissantes qui nécessite cependant une reprise économique rapide. Sinon, la désillusion pourrait déclencher une deuxième révolution ! À cet égard, l’histoire nous dit que dans des situations similaires, tous les pays ont des périodes de déclin avant de rebondir et de croître à plus long terme. Le devoir des gouvernements provisoires est de résister à la mise en œuvre de solutions faciles et de prendre les mesures nécessaires pour paver la route d’un développement durable. Par exemple, les pays ne devraient pas aborder le problème de l’emploi en embauchant plus de fonctionnaires. La transition n’est jamais facile, c’est pourquoi les organisations internationales doivent prendre en charge le réveil arabe avec patience et persévérance. « À mon avis, il faudra des mois voir des années pour que la situation se stabilise, pour que les processus démocratiques mûrissent et qu’une gouvernance plus inclusive l’emporte ».

« Accompagner les choix des nouveaux dirigeants »

Jean-Louis Reiffers, Président du comité scientifique du Femise

Quel bilan tirez-vous des quinze ans de vie du Femise ?

Le réseau Femise a mis en œuvre une approche totalement inédite du partenariat euroméditerranéen, sur la base de travaux associant chercheurs du nord et du sud. C’est un réseau convivial qui a connu une croissance importante, un véritable partenariat entre le Nord et le Sud.  Et la qualité de nos recherches a progressé au fil du temps, lorsque FEMISE prend une position ou préconise des recommandations d’actions politiques, elles résultent d’un dialogue indépendant entre économistes, chercheurs et personnes engagées dans leur pays.

Quel rôle le Femise peut-il jouer dans les nouvelles problématiques économiques qui se posent en Méditerranée ?

Le Femise doit accompagner les choix des nouveaux dirigeants. Nous ne pouvons pas nous contenter de reprendre les mêmes analyses que celles produites avant le printemps arabe. Des revendications fortes ont été exprimées par les peuples. Elles doivent être prises en compte. Cinq défis apparaissent prioritaires : il s’agit de garantir le panier de la ménagère, d’asseoir des systèmes démocratiques non corrompus, de donner des emplois aux diplômés, mais aussi de soutenir le développement des PME et d’assurer l’équilibre régional entre les zones côtières et la campagne.

“Les dirigeants arabes compensaient les frustrations du peuple par la dépense publique”
Lahcen Achy, professeur d’économie au national institute of statistics and applied economics (INSEA), Rabat and chercheur au Carnegie Middle East center de Beyrouth
Comment les régimes autoritaires arabes ont-ils pu s’installer aussi durablement en Méditerranée ?
Les régimes autoritaires sont parvenus à tenir leurs peuples, en même temps qu’ils ont obtenu le soutien des pays occidentaux. A l’exception du Liban et de la Palestine qui sont des régimes dits « hybrides », tous les autres Etats arabes pratiquaient l’autoritarisme. Ils utilisaient des méthodes connues pour asseoir leur pouvoir : ils compensaient par la dépense publique les frustrations du peuple, en s’appuyant sur le nationalisme et en utilisant la répression des opposants. Or ce système a montré ses limites cette année.
S’agit-il d’un phénomène irréversible ?
Je ne pense pas que de nouveaux régimes autoritaires pourraient s’installer à la tête des Etats libérés. Ces pays ne connaitront pas de retour en arrière. En revanche, la phase de transition peut s’avérer plus ou moins longue en fonction des pays. L’Egypte, très conservatrice, ou la Libye, à l’histoire particulière, pourraient prendre plus de temps pour parvenir à établir de véritables libertés. La Tunisie, au contraire, possède déjà une longueur d’avance. L’autre inconnue repose sur l’efficacité des politiques économiques que ces nouveaux dirigeants mettront en œuvre. S’ils n’obtiennent pas de résultats satisfaisants, nous pourrions entendre s’élever des discours populistes ou faire face à des dérives sécuritaires.
La participation aux élections dans les pays arabes est-elle suffisante pour affirmer le désir de démocratie ?
Oui ! Tous ces évènements se sont déroulés très rapidement. Or la démocratie se construit pas à pas. La population n’a pas encore absorbé le nouveau contexte. Les partis islamistes apparaissent comme une nouvelle force, qui mérite d’avoir sa chance. Ils étaient en outre les mieux organisés pour remporter ces élections. Nous observerons au fil des mois plus de rationalité dans le débat politique.
“La fin de l’exception arabe »
Ahmed Ghalal, Directeur de l’Economic Research Forum du Caire, en Egypte
« Les évènements ont montré que les peuples arabes partageaient les aspirations des autres peuples du monde. Beaucoup pensaient que l’islam, l’histoire ou la culture méditerranéennes justifiaient la présence de régimes autoritaires, mais l’éveil arabe prouve que la région doit être traitée comme les autres, ce qui signe la fin de l’exception arabe. Cet élan démocratique continue à se propager. Car ce sont bien les aspects démocratiques qui ont motivé les manifestants. Néanmoins, sans reprise économique, une seconde révolution me semble prévisible ! La littérature montre que dans des situations comparables, tous les Etats connaissent des périodes de déclin avant de rebondir pour se développer sur le long terme. Reste à résister à l’application de solutions de facilité : les Etats, par exemple, ne doivent pas régler la question de l’emploi par l’embauche de fonctionnaires. La transition n’est jamais simple, c’est pourquoi les organisations internationales doivent accompagner les pays de l’éveil, avec patience et organisation. De mon point de vue, il faudra au moins cinq ans pour stabiliser la situation : c’est le temps d’un mandat, le temps nécessaire pour permettre au peuple de comprendre le jeu démocratique et d’organiser l’alternance ».
« Accompagner les choix des nouveaux dirigeants »
Jean-Louis Reiffers, Président du comité scientifique du Femise
Quel bilan tirez-vous des quinze ans de vie du Femise ?
Le réseau Femise a mis en œuvre une approche totalement inédite du partenariat euroméditerranéen, sur la base de travaux associant chercheurs du nord et du sud. Et la qualité de nos recherches a progressé au fil du temps.
Quel rôle le Femise peut-il jouer dans les nouvelles problématiques économiques qui se posent en Méditerranée ?
Le Femise doit accompagner les choix des nouveaux dirigeants. Nous ne pouvons pas nous contenter de reprendre les mêmes analyses que celles produites avant le printemps arabe. Des revendications fortes ont été exprimées par les peuples. Elles doivent être prises en compte. Cinq défis apparaissent prioritaires : il s’agit de garantir le panier de la ménagère, d’asseoir des systèmes démocratiques non corrompus, de donner des emplois aux diplômés, mais aussi de soutenir le développement des PME et d’assurer l’équilibre régional entre les zones côtières et la campagne.