Révision de la PEV en 2015: le Pouvoir de transformation de l’UE renouvelé?

Article de Vassilis Monastiriotis (European Institute, London School of Economics, FEMISE; v.monastiriotis@lse.ac.uk)

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Vassilis Monastiriotis (Professeur Associé à European Institute, London School of Economics, Chercheur FEMISE)

En reconnaissant les limites de l’approche du « plus pour plus», la révision de la PEV en Novembre 2015 a souligné la nécessité d’une « nouvelle approche », impliquant plus de flexibilité (différenciation), moins d’objectifs et le renforcement de l’appropriation locale. Dans ma récente présentation à la conférence FEMISE 2016 à Athènes j’ai souhaité évaluer le changement d’orientation, offrant une nouvelle perspective sur les raisons des échecs passés et la nécessité d’une nouvelle approche. En approfondissant un modèle utilisé auparavant par Tovias et Ugur dans leur article de 2004 dans European Union Politics, je conceptualise la relation entre l’UE et les pays associés comme une relation d’echange – de sorte que les pays associés produisent des réformes internes (ce qui est percu comme une sorte « d’export » à l’UE) en échange de récompenses matérielles ou politiques; et l’UE « exporte » les récompenses en échange de réformes internes.

En l’absence d’externalités ou de barrières d’engagement, l’équilibre dans ce cadre conceptuel est dérivé par l’intersection des «courbes d’offre» des deux acteurs (voir graphique). Au point A, un accord mutuellement acceptable est atteint, concernant le montant des réformes à mettre en œuvre au niveau local (RFenp) et l’étendue des récompenses (association, aide financière, l’accès aux marchés) qui seront offertes par l’UE en retour (RWenp). Mon analyse part de ce cadre conceptual de «marché parfait» et montre comment la présence d’externalités positives associées à des réformes internes peut entraîner de manière systématique une mise en œuvre imparfaite de l’accord de « marché parfait », avec une quantité sous-optimale de réformes internes et une sous-fourniture de récompenses de la part de l’UE. L’existence de ces externalités positives est facile à voir si l’on considère les coûts (sociaux) des non-réformes: qu’il s’agisse du recul démocratique dans certains des nouveaux États membres et pays candidats (Hongrie, Macédoine) à l’instabilité politique dans certaines parties de la PEV (Egypte, Syrie, Ukraine) et même à l’instabilité financière provoquée par la crise grecque à l’intérieur de la zone euro. Ces externalités positives suggèrent que la «demande» socialement optimale pour les réformes se trouve à la gauche de la courbe de l’offre de l’UE, de sorte que l’équilibre socialement optimal se retrouve au point B (indiquant un niveau plus élevé de réformes mais avec des récompenses bien plus grandes).

monastiriotisA partir de là, on peut montrer intuitivement comment les négociations dans le cadre de la PEV peuvent se retrouver piégées dans un cercle vicieux de «déficits de réforme » ( « écart de mise en œuvre» par les pays associés) et de «déficits d’engagement » ( « écart de crédibilité» de l’UE). A partir de l’accord initial au point A, le pays associé observe que les réformes demandées – étant donné le niveau de récompenses RWenp – sont bien au-delà du niveau socialement optimal, ce qui sous-entend une demande de réformes excessive de la part de l’UE (RFenp – RF1). À l’inverse, le pays observe que les récompenses offertes – en regardant RFenp – sont bien inférieures au seuil socialement optimal, ce qui implique cette fois un manque de crédibilité (non-engagement) de la part de l’UE (RWenp – RW1). Étant donné que les récompenses sont fixées, le pays associé répond en retraçant RWenp sur la courbe d’offre socialement optimale et met en œuvre des réformes au niveau de RF1. Du point de vue de l’UE, cependant, cela est perçu comme un important déficit de réformes (sous-disposition des réformes). Répondant à son propre principe du «plus pour plus », l’UE resserre ses règles et réduit ses récompenses à RW2, traçant cette fois RF1 sur sa propre courbe d’offre. À ce moment, le pays associé observe un nouveau déficit d’engagement de la part de l’UE, ce qui entraîne a une nouvelle réduction de réformes (à RF2 et ainsi de suite).

Le processus peut entraîner un blocage complet des efforts de réformes, avec le gel de l’aide offerte par l’UE et l’arrêt des privilèges d’association. Pendant ce temps, le pays associé va interrompre la mise en œuvre des réformes de démocratisation ou de libéralisation ({RWN, RFN} au point O). Pour débloquer cette impasse, l’UE doit devenir plus «généreuse» dans es récompenses de réformes (modifiant sa courbe d’offre pour la rapprocher de l’optimal social afin que, par la suite, un changement puisse se produire à partir de {RWN, RFN} à {RWSO, RFSO}). Mais, pour ce faire, l’UE doit faire face à un problème de sélection adverse: les récompenses les plus généreuses risquent d’attirer davantage de gouvernements rentiers avec un engagement qui sera inférieur aux réformes. Vu sous cet angle, c’est peut-être exactement ce que la «nouvelle approche» dans la PEV révisée tente d’accomplir: le principe de la propriété permet aux pays associés de définir leurs propres objectifs de réformes, encourageant ainsi l’engagement crédible (et authentique); tandis que le principe de différenciation permet à l’UE de s’engager plus profondément (et récompenser plus généreusement) envers les gouvernements qui sont considérés comme crédibles et suffisamment ambitieux en termes d’efforts d’engagement des réformes. Pour le reste, l’UE impose moins de conditions et suit également le principe du «moins pour moins ‘ en ligne avec le principe du « plus pour plus ».

On note cependant un problème fondamental avec cette approche: bien qu’elle puisse optimiser la quantité de réformes menées par les gouvernements réformateurs, elle édulcore en même temps les incitations offertes par l’UE aux gouvernements non-réformistes, ce qui affaiblit sensiblement le «pouvoir de transformation » de l’UE et sa «capacité de démocratisation ». En ce sens, les réformes de la PEV peuvent améliorer l’efficacité de la politique en termes économiques, mais sont susceptibles de réduire son efficacité en termes de ses objectifs politiques.

 

Pour le Powerpoint présenté à la Conférence FEMISE 2016, veuillez cliquer ici.