L’épargne nationale reste insuffisante pour opérer une véritable convergence

(Photo BC-Econostrum)

Pour Jean-Louis Reiffers, le président du comité scientifique et coordonateur du Femise, la crise a fait perdre deux points de croissance aux pays du sud de la Méditerranée. C’est nettement moins qu’en Europe, mais l’état des finances publiques de la région impose désormais de mieux prendre en compte la rentabilité des projets de modernisation.

Econostrum.info : Quelles sont les difficultés engendrées par la crise actuelle dans les pays du sud de la Méditerranée? Peut-on en mesurer l’impact sur leur croissance?

Jean-Louis Reiffers : La crise actuelle touche les pays méditerranéens par les effets réels, ce que les économistes appellent les effets revenu. Comme la croissance de l’Union européenne (UE), leur principal marché, est très faible et que la leur se maintient encore autour de 4% leur déficit commercial augmente mécaniquement. A cela s’ajoute une diminution des transferts de revenus des résidents à l’étranger et une baisse des investissements directs.

Le résultat c’est deux points de croissance perdus en moyenne et un déficit budgétaire qui avoisine 7% du PIB. Donc plus faible que la moyenne européenne, mais suffisant pour rendre difficile une relance par la demande interne. Le point important à souligner est que la croissance actuelle ne permet pas de réduire le taux de chômage au Sud et que tout naturellement les pays méditerranéens sont incités à se tourner vers les régions où la croissance demeure forte, l’Asie Centrale, l’Afrique notamment.

Econostrum.info : Ces pays ont été relativement épargnés en raison de leur intégration financière limitée. Pourquoi persiste-t-on à leur conseiller de changer leur système ?

Jean-Louis Reiffers : La question de l’intégration financière est probablement la question la plus décisive pour l’avenir. Il faut d’abord bien saisir ce qu’elle implique. Pour qu’un pays puisse s’intégrer sur les marchés internationaux des capitaux, c’est-à-dire avoir accès à l’épargne mondiale, il doit réaliser la convertibilité complète du compte de capital, donc permettre à tout résident national de placer son épargne où il le veut.

La deuxième est l’obligation d’avoir un taux de change flexible pour éviter les crises financières du type Argentine avec des monnaies surévaluées et des fuites massives de capitaux. Dans ce cas, le pilotage macroéconomique est totalement différent puisqu’il implique de savoir gérer la volatilité qui accompagne ces évolutions. Notons aussi que l’économie est alors à la merci de n’importe quel événement –attentat ou autre -qui ferait fuir les capitaux.

« Trop de projets obéissent à des motifs strictement politiques »

Faut-il alors renoncer définitivement à s’intégrer sur les marchés internationaux des capitaux? Je ne le pense pas car l’épargne nationale est insuffisante pour opérer une véritable convergence. Par ailleurs, la crise a fait apparaître des réticences croissantes de nos pays aux délocalisations et aux investissements directs. Enfin, compte tenu du vieillissement des populations des pays riches, c’est là que se trouve l’épargne.

Il reste que cette avancée vers l’internationalisation financière doit être prudente. Le développement des marchés à terme, du hedging, des ventes à découverts et autres contrats futurs, doit être davantage lié aux besoins réels, voire limité. Cette évolution doit aussi être extrêmement progressive et menée en phase avec une consolidation supplémentaire de la gestion macroéconomique.

Econostrum.info : Quel est l’état de leurs finances publiques et peuvent-elles assurer leurs besoins de modernisation?

Jean-Louis Reiffers : Les finances publiques sont dans un état relativement satisfaisant en moyenne, sauf dans certains pays comme l’Egypte et la Jordanie qui sont précisément ceux qui ont le plus joué l’intégration financière internationale. Il reste qu’avec 7% du PIB en déficit budgétaire moyen, les marges de manœuvres des finances publiques pour relancer les économies par la demande interne sont réduites.

Les projets de modernisation inclus dans les plans ou programmes nationaux doivent obéir à des contraintes de rentabilité économique et sociale sensiblement améliorés. Il y a encore trop de projets qui obéissent à des motifs strictement politiques et dont les résultats sont peu évalués. Ce renouveau du volontarisme politique doit également s’accompagner d’une capacité à supprimer les opérations (notamment tertiaires) qui fonctionnent en dessous de leur seuil de rentabilité économique et sociale.

Pour utiliser une formule je dirais que dans le cas d’une avancée sensible vers le libéralisme international il faut savoir gérer la volatilité, et dans le cas d’une action volontariste il faut savoir développer la flexibilité de façon à réallouer les moyens dans le sens de l’efficacité.

Au total, l’enjeu pour le pilotage national est de trouver le bon mix entre les deux en s’appuyant sur une volonté politique appuyée démocratiquement.

Le marché européen, un préalable au marché mondial

Econostrum.info : La croissance prévue dans ces pays en 2010 et 2011 est très largement supérieure à celle des pays européens. Ont-ils besoin de l’Europe alors que leurs relations économiques avec le « vieux continent » diminuent au profit d’autres régions du monde?

Jean-Louis Reiffers : Avec 50% en moyenne des marchés extérieurs des pays du Sud, l’Europe restera encore pendant longtemps le point focal du développement méditerranéen. Mais il est clair que la dynamique générale de ce marché ne semble pas très favorable. Par ailleurs, les pays méditerranéens sont confrontés sur ce marché aux nouveaux adhérents à l’UE qui bénéficient de fonds de convergence de montants sans commune mesure avec les transferts gratuits du partenariat.

A ces distorsions de concurrence manifestes s’ajoutent le développement considérable de barrières non tarifaires, via tout un système de normes et de mesures de soutiens à des secteurs particuliers…

Ce que l’on constate cependant c’est que l’engagement sur le marché européen est un bon préalable à un meilleur positionnement sur le marché mondial.

C’est ce qui va se développer partout dans les années qui viennent et cela paraît une très bonne chose, en particulier pour le décollage de l’ensemble du continent africain.

(Photo BC-Econostrum)

Propos recueillis par Brigitte Challiol, Econostrum. L’article fait partie d’une série d’articles conjoints réalisés dans le cadre d’un partenariat entre Femise et Econostrum pour l’année 2010, qui alimenteront également la rubrique « Réflexion Méditerranéenne » du site d’information Econostrum. Vous pouvez retrouver cette rubrique et toutes les informations à l’adresse suivante : www.econostrum.info. L’inscription à la newsletter d’econostrum est accessible par : http://www.econostrum.info/subscription/

Pour Jean-Louis Reiffers, le président du conseil scientifique de l’Institut de la Méditerranée, la crise a fait perdre deux points de croissance aux pays du sud de la Méditerranée. C’est nettement moins qu’en Europe, mais l’état des finances publiques de la région impose désormais de mieux prendre en compte la rentabilité des projets de modernisation.
Texte FR
Econostrum.info : Quelles sont les difficultés engendrées par la crise actuelle dans les pays du sud de la Méditerranée? Peut-on en mesurer l’impact sur leur croissance?
Jean-Louis Reiffers : La crise actuelle touche les pays méditerranéens par les effets réels, ce que les économistes appellent les effets revenu. Comme la croissance de l’Union européenne (UE), leur principal marché, est très faible et que la leur se maintient encore autour de 4% leur déficit commercial augmente mécaniquement. A cela s’ajoute une diminution des transferts de revenus des résidents à l’étranger et une baisse des investissements directs.
Le résultat c’est deux points de croissance perdus en moyenne et un déficit budgétaire qui avoisine 7% du PIB. Donc plus faible que la moyenne européenne, mais suffisant pour rendre difficile une relance par la demande interne. Le point important à souligner est que la croissance actuelle ne permet pas de réduire le taux de chômage au Sud et que tout naturellement les pays méditerranéens sont incités à se tourner vers les régions où la croissance demeure forte, l’Asie Centrale, l’Afrique notamment.
Econostrum.info : Ces pays ont été relativement épargnés en raison de leur intégration financière limitée. Pourquoi persiste-t-on à leur conseiller de changer leur système ?
Jean-Louis Reiffers : La question de l’intégration financière est probablement la question la plus décisive pour l’avenir. Il faut d’abord bien saisir ce qu’elle implique. Pour qu’un pays puisse s’intégrer sur les marchés internationaux des capitaux, c’est-à-dire avoir accès à l’épargne mondiale, il doit réaliser la convertibilité complète du compte de capital, donc permettre à tout résident national de placer son épargne où il le veut.
La deuxième est l’obligation d’avoir un taux de change flexible pour éviter les crises financières du type Argentine avec des monnaies surévaluées et des fuites massives de capitaux. Dans ce cas, le pilotage macroéconomique est totalement différent puisqu’il implique de savoir gérer la volatilité qui accompagne ces évolutions. Notons aussi que l’économie est alors à la merci de n’importe quel événement –attentat ou autre -qui ferait fuir les capitaux.
« Trop de projets obéissent à des motifs strictement politiques »
Pour Jean-Louis Reiffers, l’Europe restera longtemps un élément fondamental du développement méditerranéen (Photo : Institut de la Méditerranée)
Faut-il alors renoncer définitivement à s’intégrer sur les marchés internationaux des capitaux? Je ne le pense pas car l’épargne nationale est insuffisante pour opérer une véritable convergence. Par ailleurs, la crise a fait apparaître des réticences croissantes de nos pays aux délocalisations et aux investissements directs. Enfin, compte tenu du vieillissement des populations des pays riches, c’est là que se trouve l’épargne.
Il reste que cette avancée vers l’internationalisation financière doit être prudente. Le développement des marchés à terme, du hedging, des ventes à découverts et autres contrats futurs, doit être davantage lié aux besoins réels, voire limité.  Cette évolution doit aussi être extrêmement progressive  et menée en phase avec une consolidation supplémentaire de la gestion macroéconomique.
Econostrum.info : Quel est l’état de leurs finances publiques et peuvent-elles assurer leurs besoins de modernisation?
Jean-Louis Reiffers : Les finances publiques sont dans un état relativement satisfaisant en moyenne, sauf dans certains pays comme l’Egypte et la Jordanie qui sont précisément ceux qui ont le plus joué l’intégration financière internationale. Il reste qu’avec 7% du PIB en déficit budgétaire moyen, les marges de manœuvres des finances publiques pour relancer les économies par la demande interne sont réduites.
Les projets de modernisation inclus dans les plans ou programmes nationaux doivent obéir à des contraintes de rentabilité économique et sociale sensiblement améliorés. Il y a encore trop de projets qui obéissent à des motifs strictement politiques et dont les résultats sont peu évalués. Ce renouveau du volontarisme politique doit également s’accompagner d’une capacité à supprimer les opérations (notamment tertiaires) qui fonctionnent en dessous de leur seuil de rentabilité économique et sociale.
Pour utiliser une formule je dirais que dans le cas d’une avancée sensible vers le libéralisme international il faut savoir gérer la volatilité, et dans le cas d’une action volontariste il faut savoir développer la flexibilité de façon à réallouer les moyens dans le sens de l’efficacité.
Au total, l’enjeu pour le pilotage national est de trouver le bon mix entre les deux en s’appuyant sur une volonté politique appuyée démocratiquement.
Le marché européen, un préalable au marché mondial
Econostrum.info : La croissance prévue dans ces pays en 2010 et 2011 est très largement supérieure à celle des pays européens. Ont-ils besoin de l’Europe alors que leurs relations économiques avec le « vieux continent » diminuent au profit d’autres régions du monde?
Jean-Louis Reiffers : Avec 50% en moyenne des marchés extérieurs des pays du Sud, l’Europe restera encore pendant longtemps le point focal du développement méditerranéen. Mais il est clair que la dynamique générale de ce marché ne semble pas très favorable. Par ailleurs, les pays méditerranéens sont confrontés sur ce marché aux nouveaux adhérents à l’UE qui bénéficient de fonds de convergence de montants sans commune mesure avec les transferts gratuits du partenariat.
A ces distorsions de concurrence manifestes s’ajoutent le développement considérable de barrières non tarifaires, via tout un système de normes et de mesures de soutiens à des secteurs particuliers…
Ce que l’on constate cependant c’est que l’engagement sur le marché européen est un bon préalable à un meilleur positionnement sur le marché mondial.
C’est ce qui va se développer partout dans les années qui viennent et cela paraît une très bonne chose, en particulier pour le décollage de l’ensemble du continent africain.
Lundi 21 Juin 2010
Propos recueillis par Brigitte Challiol