L’économie du printemps arabe dans une ère d’espoir : les cas de l’Egypte et de la Tunisie

La revolution

Le bouleversement politique en Méditerranée est exceptionnel et nouveau dans une région qui se trouvait dans un sommeil politique. Alors qu’il demeure des incertitudes sur l’évolution politique des pays concernés, il est clair que les choses ne seront jamais les mêmes du côté de cette rive de la Méditerranée.

Après les révolutions menées par la jeunesse sur tout le territoire, l’Egypte et la Tunisie ont vécu un changement historique : il s’agit de la chute pour une longue durée des régimes autocratiques qui signale une nouvelle ère pour ces pays sur le point de s’épanouir, un «printemps arabe».

Ces deux pays partagent en commun deux éléments constitutifs des causes profondes des bouleversements auxquels nous venons d’assister : (i) d’une part l’exclusion politique et sociale, où les alliances entre les pouvoirs de l’Etat politique et une petite élite rentière ont été perçues de plus en plus comme les ennemis de l’espoir pour la démocratie et l’égalité ; et (ii) d’autre part les quelques gains économiques réalisés dans ces pays qui n’ont pas réussi à se traduire en gains sociaux, conduisant à une inégalité croissante et un chômage massif.

Si la transition politique vers la démocratie ne sera pas facile dans ces pays, elle offre, cependant, un grand espoir pour l’avenir. Des pertes de court terme (économiques, sociales et budgétaires) inévitables se manifestent déjà dans ces deux pays, mais les gains de long terme attendus sont si importants que l’idée d’un « trade off » est quasiment inexistante.

A cette croisée des chemins, les régimes politiques Egyptien et Tunisien pourront suivre un chemin de réformes vers la démocratie qui produira certainement des bénéfices de long terme et une croissance durable et plus équilibrée, tout en traversant une période d’instabilité de court terme. A l’inverse, s’ils ne sont pas aidés suffisamment, ils risquent de choisir plus de stabilité de court terme, mais au détriment de l’ouverture démocratique. Il est réconfortant de constater que les mesures adoptées depuis la chute des anciens régimes s’orientent vers le premier chemin ce qui ouvre des perspectives positives pour le futur politique et le développement de long terme des deux économies. Dit de façon plus technique, il s’agira de contrôler les effets transitoires de courbe en J pour passer le plus vite possible d’une situation de relative dépression conjoncturelle à une croissance durable de niveau plus élevé. C’est cette situation que nous avons connue lors de la transition dans les pays de l’Est, qui a été maîtrisée grâce à un soutien considérable des démocraties  et qui a aboutit à une véritable convergence de ces pays avec le reste de l’Europe.

1. Effets de court terme

En Égypte:

• Les pertes liées au tourisme s’élèvent à au moins 1 milliard de dollars étant donné que un million de touristes ont quitté le pays.

• les ports égyptiens ont vu la plupart de leur activité se délocaliser vers les pays voisins (Malte, Israël etc) car les quais égyptiens sont restés la plupart du temps fermés à la suite des événements doméstiques.

• Le marché boursier égyptien a vu son activité s’interrompre quelque temps suite à la crise. En fin Janvier, les actions égyptiennes avaient perdu 20% de leur valeur.

• Pendant ce temps, Moody’s Investors Service a abaissé la notation de cinq banques égyptiennes et Standard & Poor’s a abaissé sa notation sur la dette égyptienne et a averti qu’une nouvelle baisse  serait possible.

• Les revenus de l’Egypte sont engendrés par le tourisme (7 milliards de livres l’an dernier donner l’équivalent en euros), et les taxes sur les navires utilisant le canal de Suez qui ont généré 6 milliards de livres lors de la dernière année financière. Mais l’Egypte doit encore emprunter pour couvrir son déficit du compte courant. Par conséquent, la baisse attendue du tourisme et des exportations (plus de 10% du PIB) aura une grande incidence sur le déficit budgétaire.

En Tunisie:

• Les émeutes avaient déjà coûté 3 milliards de dinars à l’économie (1,6 milliards d’euros), ce qui équivaut à 4% du PIB. Cela équivaut à environ 2 milliards de dinars (idem euros ?) en raison de l’arrêt de l’activité économique intérieure et 1 milliard en raison de l’arrêt des exportations.

• Le tourisme qui représente 6,5% du PIB (et emploie environ 400.000 personnes) est fortement touché et pourrait conduire à plus de chômage (13% en 2010, estimée par EIU à 16,6% en 2011). Des milliers de touristes ont quitté la Tunisie précipitamment, les tour-opérateurs ont ainsi demandé un plan d’urgence pour relancer le tourisme tunisien.

• Moody’s Investors Service a abaissé la notation des dépôts en monnaie locale et étrangère de cinq banques tunisiennes. Les révisions de notation reflètent les préoccupations sur l’impact potentiel de l’agitation sociale et politique sur l’économie et, finalement, les conditions de crédit. Elles auront nécessairement des conséquences sur le coût des emprunts sur les marchés internationaux des capitaux.

Concernant les incidences politiques de court terme, les gouvernements de transition ont retiré toute trace des anciens régimes, incluant les anciens ministres, ont dissout le parlement et ont déféré devant la justice les associés proches des régimes autoritaires. En outre, dans les deux cas d’anciens prisonniers politiques ont été libérés. Il semblerait que dans les deux pays, les autorités de transition ont démontré une certaine flexibilité politique et une détermination, qui laisse présager un future politique plein d’optimisme. Les deux sociétés semblent vouloir évoluer vers une réelle démocratisation avec des libertés civiles accrues, et, notamment, une plus grande participation des femmes.

2. La politique économique et les anticipations macroéconomiques:

Une croissance économique plus faible, en raison d’une chute des exportations, du tourisme et des IDE (et des recettes du canal de Suez pour l’Egypte) ajoutée à une inflation plus élevée est prévue pour 2011. En outre, des déficits du compte courant et budgétaire supérieurs (estimations EIU) sont à prévoir.

En Égypte:

• Les plans initiaux pour développer le secteur privé seront différés. Le nouveau gouvernement devra augmenter les transferts sociaux et adopter des mesures de stabilisation. Il devra également maintenir l’offre de biens et services essentiels à la population et créer des emplois (ex. dans les travaux publics).

• La croissance économique devrait chuter à 3,5% en 2011 (contre 5,1% l’année précédente).

L’inflation a atteint 11,1% en 2010, suite à la hausse des prix alimentaires, elle pourrait grimper à 14,7% en 2011.

• Le tourisme, la baisse des recettes du canal de Suez et la détérioration de la balance commerciale devraient entraîner un déficit du compte courant de 4,9% (contre un déficit de 1,3% en 2010).

Le nouveau gouvernement sera contraint par les recettes limitées ; le déficit budgétaire en 2010 était de 8% et devrait augmenter à 12% en 2011 en raison de fortes dépenses en subventions et des travaux publics. Des réformes économiques libérales pourront se produire une fois la stabilité retrouvée.

Dans le même temps, en Tunisie

• Les plans de réduction des subventions et d’augmentation des impôts semblent inappropriés. Le nouveau gouvernement devra augmenter les transferts sociaux et les subventions pour éviter des émeutes. Toutefois, la Tunisie a un important déficit budgétaire (estimé avoir atteint 5% du PIB en 2010). Le déficit budgétaire augmentera massivement à environ 9,5% du PIB en 2011 et devra être contenu par la suite.

• La croissance économique devrait chuter à 0,8% en 2011 (contre environ 3% initialement prévu).

• L’inflation a atteint 4,4% en 2010, suite à la hausse des prix alimentaires, elle pourrait grimper à 5,3% en 2011.

• La baisse des recettes du tourisme et la détérioration de la balance commerciale devrait apporter un gigantesque déficit du compte courant de 14,2% (contre un déficit de 2,4% en 2010).

Le gouvernement intérimaire devra maintenir les dépenses élevées, mais comme en Egypte il sera contraint par des limitations de recettes. Il cherchera à stimuler l’investissement et, à condition que la stabilité soit rétablie, l’investissement privé connaîtra une croissance plus rapide. Les IDE devraient être d’une importance majeure si les anticipations redeviennent positives. A cet égard, un élément positif doit être souligné : les fonds d’investissements qui ont aujourd’hui les plus grandes difficultés à réaliser les levées de fonds prévues, soulignent la forte volonté de croissance des responsables des PMI-PME. Celle-ci était obérée dans le passé par la crainte de voir le pouvoir autoritaire capter les entreprises qui grossissaient et interféraient dans leur gestion et leur propriété lorsqu’elles dépassaient une certaine taille. Désormais ce risque a disparu ce qui est extrêmement positif pour le développement des affaires.  Pendant ce temps, le Ministère du Tourisme a lancé la campagne ‘I Love Tunisia’ pour attirer les étrangers et pourrait ainsi instaurer à nouveau un avenir plein d’espoir pour la croissance du secteur.

3. La politique monétaire:

Suite à l’agitation sociale et son impact sur l’économie il faut s’attendre à une série d’implications au niveau de la politique monétaire.

En Égypte:

• La BCE a procède à sa dernière coupe de taux en Septembre 2009. Maintenant, elle aura la difficile tâche contrôler la hausse de l’inflation face aux inévitables pressions du gouvernement pour éviter les hausses de taux d’intérêt. Il est très probable que l’inflation s’accélère en raison de la dépréciation de la livre égyptienne et la hausse des prix.

• En 2010, la livre égyptienne a atteint son plus bas niveau depuis cinq ans face au dollar, avec des interventions de la Banque centrale (EIU). La livre pourrait encore se dégrader, avec une moyenne de E£ 6,40: 1 $ US en 2011 (EIU).

En Tunisie:

• Selon EIU, la Banque centrale de Tunisie va probablement maintenir une politique monétaire relativement restrictive veillant à ce que l’inflation reste largement sous contrôle.

• À court terme, la banque centrale mettra l’accent sur le maintien de la croissance économique, en particulier la croissance des exportations, suite à la faible expansion dans l’UE.

• La BCT a décidé de laisser son taux directeur inchangé en Décembre. Elle pourrait utiliser d’autres outils monétaires (ex.les réserves obligatoires des banques) pour contrôler la masse monétaire.

• la libéralisation complète des mouvements de change sera retardée de quelques années (il faudra de grandes réformes dans le secteur bancaire). Pendant ce temps, la BCT aura une approche plus souple en réduisant ses interventions sur le marché des changes. Compte tenu des problèmes de la dette de l’UE, le dinar devrait s’apprécier, il est prévu que le cours moyen du dinar d’appréciera autour TD1.73: 1 Euro en 2011, atteignant TD 1.55: 1 Euro en 2015. Il devrait également s’apprécier face au dollar, à TD1.39: 1 $ US en 2011 et TD1.32: 1 $ US en 2015 (EIU). En contrepartie, cette appréciation continuera de rendre plus difficile l’action conjoncturelle positive de la demande externe.

Sources :

AnsaMed : « TUNISIA: TOURISM, TOUR OPERATORS ASK FOR EMERGENCY PLAN », January 28th.

Boursereflex (2011), « Egypte : coût économique élevé des troubles à court terme (Robeco) », February 2nd.

Challenges (2011), « -Tunisie : les troubles ont déjà coûté 1,6 milliard », 19-1-2011.

EIU (2011), Egypt Country Forecast, February and April 2011.

EIU (2011), Tunisia Country Forecast, January and April 2011.

Guardian (2011), « Egypt’s vice-president complains rioting is bad for business », February 3rd.

Moodys (2011), « Moody’s takes action on five Tunisian banks’ ratings », January 21st.

Moody’s (2011), « Moody’s downgrades five Egyptian banks; on review for further possible downgrade », February 2nd

NZHerald (2011), « S&P downgrades Egypt’s debt rating and says it could go lower », February 3rd.